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jeudi 12 septembre 2013

Ces patients syriens soignés par des médecins israéliens...


La scène se déroule au centre médical Ziv de Safed. Entourée de médecins et d’infirmières, une jeune Syrienne de 15 ans se lève et saisit un déambulateur pour esquisser ses premiers pas sur sa nouvelle prothèse de jambe. Tout le personnel l’accompagne dans cette tentative, qu’elle effectue aux côtés de sa mère, et l’applaudit quand elle fait demi-tour et revient jusqu’à sa chambre. Pour le personnel du service orthopédique de Ziv, c’est un miracle de la médecine. La jeune fille a été blessée par une bombe qui a percuté sa maison. D’abord admise dans un hôpital syrien local, elle a vite été transportée dans un hôpital de campagne sur la frontière israélo-syrienne. Quand l’armée israélienne l’a transférée à Safed, les médecins syriens lui avaient déjà amputé une jambe. Ceux de Ziv ont lutté pour sauver la seconde et le coût de la prothèse a été pris en charge par un habitant arabe d’un village voisin.


« Elle ne se voyait pas marcher toute sa vie sur une seule jambe », raconte la psychologue de l’hôpital Ziv à qui la jeune fille s’est confiée. « Quand elle a appris que quelqu’un allait lui offrir la prothèse, cela a été le plus beau jour de sa vie ! » Cette histoire compte parmi 150 autres dont peuvent témoigner les médecins et infirmières des trois hôpitaux situés au nord d’Israël. A ce jour, Ziv a accueilli environ 70 patients syriens. A Naharia, l’hôpital de Galilée occidentale en a traité 66 et 11 autres sont passés par l’hôpital Poriya, près de Tibériade.
Selon les chiffres de l’ONU, les deux années et demie de conflit en Syrie ont déjà coûté 100 000 vies humaines et ont contraint des millions de gens à l’exode. Le Dr Masad Barhoum, directeur de l’Hôpital de Galilée occidentale, a qualifié les efforts israéliens en faveur des blessés syriens de « goutte dans l’océan ».
Pourtant, pour les patients syriens et les médecins israéliens qui les soignent, ces rencontres sauvent des vies et modifient les perspectives. L’expérience ne suffira sans doute pas à transformer les relations entre les deux pays, mais pour ceux qui l’ont vécue, elle démontre que les hommes désirent les mêmes choses et ont les mêmes rêves, quel que soit le pays d’où ils viennent.

Jouer les détectives


A l’hôpital de Galilée occidentale, les patients syriens arrivent à n’importe quelle heure. L’armée israélienne annonce par téléphone qu’elle va en amener un certain nombre, sans préciser s’il s’agit d’hommes, de femmes ou d’enfants ou quel est leur état. Vingt minutes, ou plusieurs heures plus tard, ils arrivent en ambulance.
Dès réception de l’appel téléphonique de l’armée, le personnel commence à préparer la salle de réanimation en s’attendant au pire. L’hôpital abrite le seul service de neurochirurgie de la Galilée et du Golan, et la plupart des Syriens qui arrivent inconscients ont été victimes de graves traumatismes crâniens.
Le principe est le même à l’hôpital Ziv, où l’on accueille surtout des victimes de blessures aux membres ou de lésions internes. Ziv est l’établissement médical le plus proche de la frontière syrienne : il n’est parfois qu’une première étape pour les malades syriens, qui sont ensuite acheminés vers le service de neurochirurgie de Naharia.
« Nous ne voyons pas tous les blessés syriens traités en Israël, mais seulement les cas les plus dramatiques », explique le Dr Calin Shapira, directeur adjoint de Ziv. « L’armée ne nous amène pas ceux qui peuvent être soignés sur place, à l’hôpital de campagne. » Dans ces deux hôpitaux, il n’est pas rare de voir arriver des patients dont le dossier médical se résume à un morceau de papier sur lequel un médecin syrien a griffonné deux ou trois mots à la hâte. Souvent, il faut jouer les détectives pour découvrir où est la blessure.
« Parfois, nous nous apercevons que le patient a été opéré, mais nous ne savons pas quand, et nous ignorons quels traitements lui ont déjà été administrés », explique le Dr Shapira. « Nous ne savons pas non plus si les vaccinations sont à jour, par exemple, de sorte que nous leur faisons systématiquement les vaccins de base, comme le tétanos. »


Patients sous identité secrete

A l’hôpital Ziv, des psychologues arabophones s’entretiennent avec les patients conscients après leur passage aux urgences. Ils s’efforcent de calmer leur nervosité, leur parlent des médecins qui vont les soigner et leur expliquent quels sont les traitements préconisés.
« Il n’y a pas longtemps, j’ai eu affaire, en salle de déchoquage, à un jeune garçon qui croyait se trouver au Liban et s’est mis à paniquer quand il a compris qu’il était en Israël », raconte une psychologue. « Quand je lui ai parlé en arabe et qu’il a vu ce que les médecins s’apprêtaient à faire pour lui, il s’est détendu et s’est calmé. » Après les premiers soins chirurgicaux, les patients sont dispatchés dans les différents services de l’hôpital. La plupart ont subi des blessures multiples et plusieurs services travaillent alors en collaboration pour les soigner. L’administration tient secrète l’identité des patients et des soldats montent la garde devant leurs chambres, afin de les protéger d’éventuels agresseurs qui leur reprocheraient d’être venus chercher de l’aide auprès des Israéliens.
Les blessés syriens arrivent généralement seuls et sans aucun effet personnel. Il faut leur fournir des objets de base, comme des sous-vêtements et une brosse à dents. Les membres du personnel leur apportent ainsi des vêtements, des affaires de toilette, des livres et des jeux pour les enfants. Les hôpitaux reçoivent en outre des dons venus des villages voisins.
« Les patients syriens se retrouvent ici seuls et ils n’ont personne en dehors de nous », déclare le Dr Shokrey Kassis, spécialiste de chirurgie plastique à Ziv. « Nous faisons donc tout pour eux. Ils arrivent comme des réfugiés, de sorte qu’ils souffrent d’un double traumatisme. »


« C’est un cadeau pour notre équipe »

Les soins à apporter à ces malades qui présentent un état critique sont souvent multiples et complexes. Dans le service d’orthopédie de l’hôpital Ziv, trois Syriennes recevant des soins intensifs pour de graves blessures aux jambes sont réunies dans une même chambre. Leur traitement impose de multiples opérations et nécessitera des mois de rééducation. Parmi elles : la jeune fille de 15 ans qui vient de recevoir sa prothèse, mais aussi sa mère et sa petite sœur de 8 ans. Toutes les trois ont reçu des traitements similaires et tout a été fait pour leur éviter l’amputation. Des soldats israéliens ont d’ailleurs subi exactement les mêmes soins pour des blessures identiques aux jambes et les trois femmes sont désormais équipées des mêmes appareils orthopédiques externes qu’un soldat de l’unité d’élite Golani, traité lui aussi dans le service.
« Il nous arrive d’entreprendre cette très longue procédure en vue de sauver une jambe, sans savoir si le résultat sera bon, ou même s’il y aura un résultat », raconte le Dr Alexander Lerner, chef du service d’orthopédie. « Voir cette jeune fille marcher avec sa nouvelle prothèse, c’est un cadeau pour notre équipe et pour les autres patients du service. Cela nous motive pour continuer. » Les Syriens restent à l’hôpital jusqu’à stabilisation de leur état. Parfois, les médecins parviennent à les garder pour qu’ils subissent au moins un début de rééducation et pour achever les traitements nécessaires. Ils savent qu’ils ne reverront pas ces patients-là pour le suivi après leur départ de l’hôpital et qu’ils ne recevront sans doute pas les soins postopératoires nécessaires. « En général, j’explique à mes patients ce que devra être la prochaine étape : je leur dis par exemple à quel moment il faudra retirer le stabilisateur externe de la jambe, et comment le faire eux-mêmes », ajoute le Dr Lerner. « Mais une fois que leur état est stable et que nous sommes sûrs qu’il n’y a pas d’infection, ils doivent partir. » Certes l’armée israélienne assure au directeur de l’hôpital que les patients nécessitant des soins postopératoires et une rééducation les recevront une fois sortis, mais nul ne peut être certain que des organisations comme la Croix-Rouge, les services médicaux de l’armée ou des médecins syriens s’en chargeront.
« Nous ne savons pas où ils vont, mais nous leur donnons une lettre de médecin sans signature, de façon à ce qu’ils puissent continuer d’être soignés sans mettre leur vie en danger », précise le Dr Shapira. « Pour nous, peu importe où ils iront ensuite : c’est ici et maintenant que nous prenons soin d’eux. »


Un devoir moral

Sa position de directeur de l’hôpital de Galilée occidentale n’empêche pas le Dr Barhoum d’enfiler sa blouse blanche et d’œuvrer aux urgences dès que de nouveaux patients syriens se présentent. Il connaît le nom et l’histoire de tous les enfants syriens soignés dans son établissement et il est capable de décrire en détail le combat que mène chacun d’eux pour sa survie.
Selon lui, deux aspects interviennent quand le personnel médical israélien s’occupe de patients syriens : l’aspect professionnel et l’aspect moral. D’une part, les infirmières et les médecins accomplissent le travail auquel ils ont été formés. D’autre part, ils ont conscience, en tant qu’êtres humains, d’avoir le devoir moral d’apporter une assistance humanitaire à ceux qui souffrent. Le Dr Barhoum estime que, dans son hôpital, ce dernier aspect l’emporte sur le reste. « Je pense que cette arrivée de blessés syriens a produit un effet profond sur le personnel », affirme-t-il. « J’ai vu moi-même une petite fille de trois ans, qui pleurait nuit et jour pour avoir sa mère, être prise totalement en charge par le personnel qui se relayait à son chevet pour la réconforter. » Il y a aussi l’histoire de ce Syrien de 23 ans soigné dans le service ORL. Un éclat d’obus lui avait tranché la mâchoire et traversé la gorge pour aller se loger dans sa poitrine. Sans doute avait-il été soigné par une organisation humanitaire en Syrie, car, à son arrivée, il avait subi une trachéotomie qui lui permettait de respirer. En Syrie, puis dans l’hôpital de campagne israélien, on n’avait rien pu faire de plus pour lui. Pris en charge à Naharia par le service ORL du Dr Eyal Selah, il a subi une succession d’opérations. On lui a administré de fortes doses d’antibiotiques pour stopper l’infection qui s’était déclarée ; les chirurgiens-dentistes sont parvenus à reconstruire la mâchoire et l’on a pratiqué de la chirurgie réparatrice au niveau du cou.


Traitement sous émotion


Ni le Dr Selah ni le personnel de son service ne sont près d’oublier cet homme, qui les a profondément émus. En raison de la perforation qu’il avait au cou, il a été incapable de s’alimenter pendant de longs mois et les infirmières devaient lui apporter des soins attentifs quotidiens. Au fil des mois, le personnel a développé avec lui des liens affectifs : on lui apportait des vêtements, des livres, et, vers la fin, quand il a pu de nouveau manger, de petites friandises. On cherchait par tous les moyens à lui faire plaisir.
« J’ai vu les infirmières qui aidaient ce pauvre jeune homme, et j’ai lu la compassion dans leurs yeux », raconte le Dr Selah. « Chaque jour, il recevait un nouveau cadeau afin qu’il se sente bien et qu’il comprenne qu’il était le bienvenu parmi nous. » Les premiers jours, l’homme avait paru plein de suspicion et totalement désorienté : tout ce qu’il savait de l’Etat d’Israël concernait le conflit israélo-arabe, et il ne se doutait pas une seconde qu’ici, Arabes et Juifs avaient tissé des liens de coopération et coexistaient. « Il a vu que mon personnel était composé de musulmans, de chrétiens et de juifs qui travaillaient ensemble et que tout le monde était traité de la même façon », reprend le Dr Selah. « Il ne pouvait pas se figurer ce qui se passait ici, alors que nous, c’est notre façon de vivre… » L’homme a fini par se confier au personnel de l’hôpital, il a raconté sa vie, parlé de sa famille en Syrie. Lorsqu’il a dû s’en aller, il a pleuré en prenant congé du Dr Selah et de son équipe. Ce séjour, a-t-il affirmé, avait transformé la façon dont il voyait Israël et le conflit. « Il m’a promis qu’il trouverait un moyen de revenir me voir », conclut le Dr Selah. « Il espérait qu’il y aurait un jour la paix entre nos deux pays et qu’il pourrait amener sa famille faire ma connaissance. » Il a quitté l’hôpital en laissant une lettre en arabe, désormais affichée au mur dans le service, afin qu’elle rappelle à tous à quel point cet homme les avait touchés.
« Je trouve que sauver des vies est un privilège et je suis heureux de pouvoir le faire », commente le Dr Selah. « Si d’autres blessés syriens ont besoin de mon aide, je les soignerai de tout mon cœur. »


S’occuper des petits détails

D’autres patients syriens lui ont manifesté la même gratitude que le blessé à la mâchoire. Parmi eux, la mère d’une petite fille de 8 ans hospitalisée dans le service d’orthopédie. Mère et fille ont été blessées par une roquette qui a détruit leur maison. La mère a réussi à s’extraire des décombres et à en sortir sa fille. Toutes deux ont été conduites dans un hôpital syrien voisin, pour se retrouver, en fin de compte, à Safed. A l’hôpital Ziv, elles occupent des lits mitoyens. La mère a de grands yeux clairs et porte un foulard pour cacher ses cheveux. En Syrie, elle a 8 autres enfants dont elle n’a aucune nouvelle, et elle s’angoisse pour eux en permanence.
« Je suis si reconnaissante que j’ai envie de remercier tous les membres du personnel, les uns après les autres, d’avoir pris soin de ma fille et moi », dit-elle. « Je veux rentrer chez moi et vivre en paix, mais je sais que j’aurai beau répéter ça encore et encore, personne ne m’écoutera. Je suis heureuse d’être soignée ici, parce que je me sens en sécurité. J’aimerais qu’un jour, il existe un pont entre la Syrie et Israël. Je veux vivre dans la paix. » Le Dr Shokrey Kassis a établi des liens avec cette femme et cette petite fille, à laquelle il apporte des choses qu’elle aime, en particulier des bananes. Il estime que les relations entre individus constituent un révélateur. « On voit que ce n’est pas entre les individus que réside le conflit », affirme-t-il. « En fait, les gens sont simples. Si cela dépendait d’eux, il y aurait la paix depuis longtemps déjà ! » A l’hôpital de Galilée occidentale, le Dr Selah exprime le même sentiment : « Les relations personnelles sont importantes, parce qu’en fait, le monstre n’est jamais tel qu’on se le représente. Quand on va vers les hommes et les femmes et que l’on comprend leurs désirs, on s’aperçoit qu’ils souhaitent juste vivre leur vie, élever leurs enfants, mener une existence normale. Dieu est dans les petits détails, pas dans le tableau d’ensemble. Occupez-vous des petits détails et vous changerez le monde.

Source JerusalemPost