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jeudi 11 avril 2013

Les aveux de Guilad Schalit : récit d'un enlèvement - Version integrale




Guilad Schalit, le « fils de toute la nation », aurait-il pu éviter de se retrouver captif aux mains du Hamas ? Voici l’intégralité de sa version.

Lors d’entretiens avec un psychologue, au terme de ses 5 années de captivité, Guilad Schalit aurait exprimé des craintes quant à l’enquête que les autorités militaires ne manqueraient de mener à son endroit. Schalit savait exactement ce qu’il avait à craindre de l’enquête. Il ne connaissait que trop bien les circonstances qui ont conduit à sa captivité. Il savait qu’il n’y avait aucune raison d’être fier de ce qui s’était passé cette nuit-là. Il savait qu’il n’avait pas accompli son devoir de soldat au sein de Tsahal. Même pas le minimum, pas le moindre geste, qui aurait pu éviter le pire.
Schalit sait très bien qu’il a baissé les bras ce 25 juin, qu’il s’est laissé enlever sans tirer un seul coup de feu qui aurait pu mettre ses agresseurs en fuite. Sans compter qu’il aurait aisément pu s’éviter d’en arriver à cette extrémité. Il y avait donc largement de quoi appréhender la confrontation avec les enquêteurs.
Mais contrairement à d’autres soldats, faits prisonniers ou enlevés par le passé, les forces miliaires israéliennes ont pris Schalit avec des pincettes. Il était devenu « notre enfant à tous », et ses années d’absence pesaient lourd sur la conscience collective. Ce sentiment de culpabilité a aussi empoisonné les plus hautes sphères militaires. Le stress d’une véritable enquête lui fut donc évité, remplacée par un simulacre d’interrogatoire. Schalit n’a pas été cuisiné pour passer aux aveux. Il a eu droit, au contraire, à un traitement de faveur, ce qui n’a pas été la chance d’Elhanan Tannenbaum par exemple, autre soldat enlevé par le Hezbollah. Schalit a été traité comme le chouchou de la nation.
Les experts qui l’ont examiné ont identifié ses peurs, les ont mises sur le compte du traumatisme et ont alerté les autorités sur la nécessité de le ménager. Schalit a donc tranquillement pu devenir une superstar et bénéficier d’un traitement de faveur. Il s’est laissé surfer sur la vague d’amour que faisaient déferler sur lui ses concitoyens et a profité d’une avalanche de privilèges. Il venait de donner des années de sa vie à la nation, et, même si ce n’était pas de son plein gré, c’est ce qui était retenu de l’affaire.

Une libération qui fait grincer des dents

Le jour de sa libération, le 18 octobre 2011, a eu un avantgoût de jour férié ; la circulation était au point mort, les larmes de joies mouillaient les mouchoirs, et même le chef d’état-major de l’armée, le général Benny Gantz, l’a élevé au rang de héros national. En regardant le retour de Schalit sur le petit écran, il était impossible de ne pas y aller de sa larme.
Même moi, je dois l’avouer, j’avais l’oeil humide. Pourtant, pendant des années, j’avais écrit tout le mal que je pensais des négociations en cours pour sa libération et argumenté contre ce que j’appelais l’irrationnelle capitulation d’un Etat.
Le prix de cette libération était exorbitant et le payer, une erreur politique majeure.
Finalement après avoir fait fi de ses réticences et trahissant tous ses principes, le Premier ministre Binyamin Netanyahou jetait l’éponge et se décidait à payer le prix fort pour la libération du soldat Schalit. Aujourd’hui encore, j’ignore s’il a pris la bonne décision. Cela n’a certes pas ouvert la porte à une nouvelle Intifada et Israël a survécu à cette libération.
Mais une partie des prisonniers arabes échangés contre Schalit sont depuis, à nouveau, derrière les barreaux et leur grève de la faim a mis les territoires disputés à feu et à sang.
Or, tout ce que l’on retient de l’histoire, c’est que le soldat Schalit est rentré à la maison et a commencé une vie nouvelle. Et que toute la société israélienne se tient à ses côtés comme un seul homme, solidaire envers et contre tout, comme elle sait si bien le faire. Seule l’histoire dira si c’était ou non la bonne décision à prendre et qui aura eu raison ou tort dans toute cette affaire.

Une « petite tête » 

Voici la véritable histoire de Guilad Schalit. C’est sa version des faits, telle qu’il l’a confiée aux enquêteurs qui l’ont interrogé. Comme il en avait fait état, la peur le tenaillait et il appréhendait le moment de la confrontation avec les enquêteurs. Il avait honte de ce qu’il aurait à leur dire. Mais il l’a fait avec franchise, en ne leur cachant rien, et c’est tout à son honneur.
Il n’a pas cherché à enjoliver la réalité. Il leur a avoué avoir manqué à son devoir et échoué dans sa tâche. Et ce, spontanément, de son plein gré, sans qu’il n’y soit contraint d’aucune façon. Schalit possède une mémoire extraordinaire.
Il sait exactement ce qui est arrivé, où et quand. Il se rappelle tout de ses déplacements d’une geôle à l’autre et même ce qu’il a mangé chaque jour de sa captivité. Pour ses enquêteurs, il n’a omis aucun détail des événements qui ont conduit à sa captivité. Voici la version détaillée de l’attaque qui a permis son enlèvement. Voici l’intégralité de sa version des faits, exception faite de certains détails, censurés pour des raisons de sécurité.
L’attaque a eu lieu juste avant l’aube. Schalit et ses coéquipiers sont de garde à bord de leur tank, aux abords de la bande de Gaza. Durant la nuit, les membres de l’équipage ont dormi deux par deux, à tour de rôle. A l’aube, ils sont supposés être opérationnels, prêts au combat. C’est l’heure des liaisons radio entre les troupes et le poste de commandement, et il est procédé à l’appel. C’est exactement ce à quoi Schalit et ses coéquipiers devraient être occupés.
Au lieu de cela, un seul homme sur les quatre membres de l’équipage du tank est éveillé. Les trois autres dorment encore à poings fermés. Chacun est à sa place : le conducteur à la conduite, le radio aux communications, Schalit à son poste de tir et le commandant dans la tourelle de commandement.
Schalit était connu pour être ce qu’on appelle en jargon militaire le « rosh katan », ce qui signifie littéralement « petite tête », locution qui désigne un soldat qui a peu, voire pas d’initiative. On lui demande un certain nombre de tâches, sans qu’il lui soit tout divulgué du contexte dans lequel il évolue, et il se doit de les exécuter.

Entre dilettantisme et inconscience

Schalit ignore à peu près tout des conjonctures, du champ de bataille et des objectifs de l’ennemi. Non pas qu’il n’ait reçu aucune information au cours de la préparation de la mission, car il a assisté aux briefings. Mais n’a prêté aucune attention à ce qui s’y est dit, dans la mesure où se considérant comme simple exécutant au sein de l’équipe, il a estimé qu’il était suffisant qu’il se contente d’obéir aux ordres de son supérieur hiérarchique qui a toute sa confiance et sur lequel il se repose entièrement.
S’il avait prêté l’oreille au commandant de son bataillon alors qu’il exposait les tenants et les aboutissants de leur mission, lors de briefings détaillés, il aurait pu relever les mises en garde du Shin Bet, l’Agence du renseignement intérieur, sur une possible infiltration de membres du Hamas qui menaçaient de pénétrer à l’intérieur du territoire israélien via des tunnels, et fomentaient l’enlèvement de soldats.
Il aurait été au courant que des renforts stationnaient à quelques minutes seulement de l’endroit où se trouvait son tank, et le savoir aurait pu peut-être changer le cours de l’attaque qui allait avoir lieu et faire possiblement échouer les tentatives d’enlèvement. Dans le briefing qui a précédé les opérations, les positions des uns et des autres sur le terrain et l’organisation du déploiement des troupes ont été clairement communiquées.
S’il avait prêté attention à ces informations, il aurait su que toute la nuit, une unité d’élite était stationnée le long de la barrière de sécurité avec Gaza, et ce, à quelque 200 mètres à peine de la position du tank dans lequel il se trouvait. Le colonel Avi Peled, commandant en chef de tout le secteur, pourtant en sous-effectifs, avait consenti de son propre chef à venir rompre l’isolement du tank, en lui faisant la faveur de déployer tout un bataillon en renfort à ses côtés. Il aurait suffi que Schalit appelle à son secours pour qu’on vienne lui prêter main-forte. Encore eut-il fallu le savoir et pour ce faire, avoir prêté l’oreille à ces précieuses informations au moment où elles étaient divulguées. « Je n’écoutais pas », a admis Schalit, au cours de l’enquête, « le commandant écoutait et, pour moi, c’était suffisant. Je lui faisais confiance. » 

Equipage en fuite

Au moment où l’attaque commence, Schalit est profondément endormi à son poste de tireur, au fin fond du tank, son arme à ses pieds. Il ne porte pas son casque sur la tête et son gilet pare-balles est suspendu au dossier de son siège. Au regard de ce qui s’est passé, il se trouve que c’est justement à son gilet pare-balles posé à cet endroit, qu’il devra d’avoir la vie sauve.
Schalit s’endort à 4 h 35 du matin quand un coéquipier vient de prendre la relève. Avant cela il était de garde. 25 minutes plus tard l’impact d’une grenade propulsée par fusée frappe le tank et le tire de son sommeil en sursaut. Il lève les yeux vers son commandant, le lieutenant Hanan Barak et le conducteur du char, le sergent Pavel Slutzker, en train de se hisser en catastrophe hors de l’habitacle.
« Guilad sors de là ! », lui crie le commandant Barak. Placé en contrebas de son poste de tireur, le caporal Roi Amitai hurle : « Hanan, Hanan ». Mais Barak et Slutzker sont déjà dehors.
L’ordre de quitter le char contrevient aux ordres en usage, en cours de mission. Une grenade de ce type ne peut pas causer de dommage majeur à un char Merkava 3. L’impact a causé un choc aux occupants et provoqué la panique, mais il n’y a aucune raison objective de quitter le tank. Il n’est plus sous le feu de l’ennemi, n’a subi que des dégâts légers, la grenade n’a pas invalidé le système électronique du tank et aucun blessé n’est à déplorer.
Après l’attaque, une fois les événements passés, un technicien s’installera aux commandes du tank, allumera le moteur, puis le ramènera tranquillement à la base. Le tank dans lequel se trouve Schalit est donc en état de continuer le combat. C’est une machine de guerre redoutable, avec un canon d’une puissance et d’une précision de tir remarquable, trois mitraillettes prêtes à tirer, sans compter les autres armes sophistiquées qu’il possède à son bord. Pourtant l’équipage fuit le tank.

Le tankiste n’était pas en mode combat

Il n’est pas question dans ces colonnes de blâmer qui que ce soit. Sous le feu de l’ennemi, quand le combat fait rage, nul ne peut prédire de ses réactions ; l’erreur est possible et la désobéissance aux ordres guette. C’est déjà arrivé par le passé, cela arrive encore et se reproduira à l’avenir, il en est ainsi pour chaque conflit auquel le pays est confronté.
Mais cette mauvaise appréciation de la situation aura finalement coûté la vie à Hanan Barak et Pavel Slutzker.
Deux soldats sont morts dans cette attaque et pourtant les Israéliens, pour la sécurité desquels ils ont sacrifié leur vie, ne retiendront pas leurs noms, mais celui d’une seule victime, le soldat Schalit.
Les enquêteurs ont demandé à Schalit s’il avait lui aussi quitté le tank.
« Non, je n’ai pas quitté le tank » a répondu Schalit.
« Pourquoi ? » « Parce que ça me semblait plus sûr à l’intérieur, qu’à l’extérieur », et Schalit a ajouté : « Dehors c’était dangereux.
A l’intérieur, je me sentais protégé ».
Après le départ de Barak et Pavel, Schalit entend quelques rafales d’arme légère. Rafales qui fauchent Barak et Pavel.
Schalit entend leurs corps tomber du tank et s’affaisser au sol. Puis dans le silence qui suit, il réalise qu’ils ne peuvent qu’être morts ou grièvement blessés. Schalit vient de perdre son commandant, le caporal Roi Amitaï est piégé au fond de l’habitacle, à l’évidence le voici seul. Il décide alors de rester dans le tank et renonce à sortir pour combattre. Même en restant à l’intérieur du tank, il lui serait facile d’utiliser la mitraillette, sans même avoir à mettre la tête dehors. Où il pourrait faire un tour avec le char, histoire de montrer qu’il est opérationnel et prêt à combattre. Mais il préfère rester vissé sur son siège à attendre que ça se passe, en espérant que tout sera pour le mieux.

Abandon d’arme

Au même moment, à l’extérieur, il ne reste plus que deux terroristes. Le commando infiltré sur le territoire était composé de sept hommes. Deux sont morts en tentant de s’enfuir, après avoir attaqué un avant-poste de Tsahal et blessé plusieurs soldats. Trois autres ont attaqué une autre position de l’armée abandonnée non loin de là, et deux seulement ont pris le tank pour cible.
Si l’équipage du char était resté opérationnel, fidèle au poste, il n’aurait eu aucun mal à repousser ses assaillants.
Même Schalit tout seul, était en mesure de les neutraliser.
Mais à ce moment-là, le jeune caporal est rivé à son poste d’attaquant en train de prier pour que tout cela finisse au plus vite. C’est alors qu’un des terroristes s’approche et lance deux trois grenades à l’intérieur du tank.
Schalit ne se souvient plus de l’explosion des grenades, en revanche il se rappelle très bien de l’épaisse fumée.
Le siège est complètement déchiqueté. Schalit s’en sort miraculeusement, légèrement blessé à l’épaule et sur l’arrière du corps, par des éclats d’obus. C’est son gilet pareballes qui a amorti le plus fort de l’impact.
Sous le choc, tétanisé, il reste quelques minutes à suffoquer dans le tank, jusqu’à ce que la fumée se dissipe par l’ouverture du toit. Puis il se décide à sortir. Désarmé. Il laisse son redoutable M16 posé au sol, ce qui en terme militaire signifie « abandon » de son arme.
Si seulement Schalit était sorti armé, prêt à tirer. Ou s’il avait eu la bonne idée d’attendre que l’ennemi escalade le tank, pour le neutraliser. Mais à ce moment-là, il ne fonctionne pas en mode combat. C’est ce qu’il a dit lui-même aux enquêteurs.
Le tank est resté muet. Le soldat Schalit n’a pas tiré un seul coup de feu.