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dimanche 14 avril 2013

Eilat : un parc marin fournit des soins à des enfants autistes



À Eilat, en Israël, un parc marin propose des stages pour les enfants ayant des troubles du comportement. Le Figaro a suivi l’initiation d’un petit autiste de 7 ans. Aux confins des montagnes du Sinaï, du désert de l’Arava et des eaux bleues de la mer Rouge, Eilat n’a pas la réputation d’une villégiature paisible ; on y vient d’abord pour faire la fête, de jour comme de nuit, entre de fortes odeurs d’huile solaire et des hurlements continus de musique techno. Loin du centre-ville bétonné, la sérénité qui règne au Dolphin Reef n’en est que plus frappante.

Implanté sur deux hectares de sable et de lagon, ce delphinarium pas comme les autres abrite une famille de huit dauphins, dont sept nés sur place, qui évoluent dans un espace maritime presque naturel, ouvert par des filets sur la haute mer, où les eaux poissonneuses sont aussi pures que du cristal de Bohême et où les visiteurs peuvent nager eux aussi, avec masque et tuba ou bouteilles de plongée.
Jamais séparés les uns des autres, Cindy, Shy, Dana, Nana, Yampa, Luna, Nikita et Sheba (six femelles et deux mâles) y mènent une vie sociale équilibrée qui repose pour beaucoup sur le fait qu’ils se nourrissent seuls, ne subissent pas d’interférence humaine dans l’équilibre de leur cycle de reproduction et restent libres de se rapprocher – ou pas – des hommes. Sophie Donio, patronne depuis vingt ans d’un programme de thérapie assistée par les dauphins qui a profité à trois cents enfants malades ou cabossés par la vie, y veille personnellement. Femme de caractère, elle impose une discipline de fer via un encadrement et un contingentement strict des visiteurs à qui l’on enseigne avant tout de respecter les dauphins. Surprenante métamorphose lorsque Sophie, chaque matin à l’aube, rejoint ces magnifiques mammifères marins sur le ponton flottant. Alors ses gestes et ses mots coulent comme du miel.

Des ondes thérapeutiques
Sa première initiative est de les appeler. Chaque odontocète porte un prénom que figure un son précis. Clé, cloche, triangle… peu importe l’objet pourvu qu’il émette le prénom sonore attribué à chaque animal. Les soigneurs du centre possèdent leurs propres outils de communication et, en fonction de leurs affinités, leurs propres interlocuteurs marins avec qui ils s’efforcent d’entretenir une relation faite «de confiance et d’affection». Entre eux, les delphinidés produisent des sifflements que les scientifiques pensent être des sons signatures, ainsi que des cliquetis qui les aident à localiser leurs proies et à se déplacer dans l’eau aussi rapidement que des éclairs de vif-argent, sans jamais heurter le moindre obstacle. Mêlé à des sons pulsés, l’éventail de modulations obtenues forme un vrai dialogue codé. La thérapie assistée telle qu’elle est appliquée au Dolphin Reef repose – en partie – sur l’effet physiologique des ondes acoustiques émises par les dauphins.

Or porte bien son prénom; sa maman veille sur lui comme sur le plus précieux des trésors. Lorsqu’il arrive, sa main serrée dans la sienne, il a tout du gamin ordinaire, si ce n’est sa beauté, remarquable. Mais quelques minutes suffisent pour qu’apparaissent les stigmates du trouble du comportement dont il souffre: dysfonctionnements cognitifs, difficultés relationnelles, écholalie, mouvements du corps restreints, répétitifs et stéréotypés. Or a tout juste 7 ans et il est autiste: une pathologie mentale qui affecte plus d’un enfant sur mille au sens strict, et plus de six sur mille au sens large. La recherche peine encore à lever toutes les énigmes posées par ce handicap d’origine génétique, aussi invalidant pour les malades que pénible à vivre pour leur famille.

Stimuler les émotions, les sensations, l’estime de soi
Au Dolphin Reef, le programme s’étale sur une durée minimale d’une année, à la fréquence recommandée de quatre séances d’une heure pendant deux semaines, tous les deux mois. Chaque séance se divise elle-même en deux séquences d’une demi-heure. La première débute sur la plate-forme en mer «où le contact ne s’opère que si le dauphin vient de lui-même vers l’enfant», rappelle Sophie Donio. Le second volet consiste pour le malade à se sentir à l’aise dans l’élément liquide, en s’y immergeant au côté de l’animal. La méthode, elle, vise à stimuler les émotions, les sensations, l’estime de soi, la confiance mutuelle, le respect et la reconnaissance de l’autre, grâce à l’interaction entre l’animal et l’enfant. Le médiateur, toujours présent, fait office de trait d’union entre les deux acteurs de cette thérapie que Sophie Donio préfère appeler «expérience». Son objectif est de trouver la clé qui permettra à Or de s’ouvrir au dauphin d’abord, au monde extérieur ensuite, et peut-être, enfin, à lui-même.

Le mammifère marin, philanthrope légendaire, s’approche tout de suite du gamin dont les jambes pendent dans l’eau. Le Tursiops truncatus arbore un «sourire» qui devrait contribuer à le rendre sympathique, mais l’enfant n’a pas l’air d’apprécier la présence anxiogène du gros cétacé. Il se lève, se balance nerveusement d’avant en arrière pendant que Diana, la maman, une plantureuse Ukrainienne qui vit depuis dix-sept ans à Ashdod, cité portuaire d’Israël, se tord les doigts mécaniquement, visiblement bouleversée par la détresse de son petit bonhomme.
Sophie reprend calmement Or par la main et l’invite à gratter le ventre que lui offre l’animal, mais il lui faut prodiguer des trésors de patience pour qu’il accepte – enfin – de poser sa paume sur la peau du dauphin. Plus tard, dans l’eau, le garçonnet s’accroche au cou de Sophie qu’il griffe, pince et brutalise. Diana, quant à elle, est profondément meurtrie, déçue dans son espoir d’obtenir un miracle.«Mais il n’y a pas de miracle, martèle pourtant sans cesse Sophie aux parents. Les dauphins ne soignent pas. Un enfant à problèmes garde ses problèmes. On peut seulement espérer qu’à l’issue de sa relation avec les cétacés il ait franchi une étape supplémentaire dans la logique de progrès.»
Pour Or, il faudra attendre le quatrième jour pour détecter une évolution. Nerveux, agité, il se débat dans l’eau quand Sophie l’invite, pour la énième fois, à s’approcher du dauphin venu se faire caresser. Après plusieurs tentatives, il finit par s’accrocher à l’aileron dorsal et à s’échapper sur son dos. De cette rencontre euphorisante entre les deux êtres fuse un rire, puis un éclat de rire, puissant, libéré, spontané. Le rire d’un enfant heureux, d’un enfant «normal». Pour Sophie, un verrou a sauté, la barrière d’isolement derrière laquelle Or est prisonnier vient de se fracturer.
Et après? Les dernières nouvelles confirment qu’un palier a vraiment été franchi ce jour-là. La maîtresse de l’enfant l’a trouvé changé, plus détendu, moins agité. A l’issue du programme, ses capacités attentionnelles s’étaient sensiblement améliorées ; il a pu regarder un film jusqu’au bout, sortir un peu de son silence, montrer davantage d’intérêt pour son entourage. Un pas de géant pour lui. Un soulagement pour Diana et ses proches, qui, comme toutes les familles d’enfants autistes, connaissent et partagent l’angoisse profonde qui ronge les petits malades.Il est bien là le miracle de cette «expérience» que défend Sophie Donio depuis vingt ans, en s’efforçant de l’améliorer chaque année: ni guérison ni rémission, mais l’espoir d’une mue pour que ces enfants différents deviennent – un peu – comme les autres.

Source Israel Valley