mardi 30 juin 2020

Moissac, la «ville de Justes» conquise par l'extrême droite


La petite bourgade du Tarn-et-Garonne a élu dimanche le candidat du RN Romain Lopez avec plus de 62% des suffrages. Pendant la guerre, elle s'était distinguée en cachant et protégeant 500 enfants juifs......Détails.......


Moissac. Petite bourgade rurale du Tarn-et-Garonne. 8 000 habitants dans les années 40 et ses 500 enfants juifs réfugiés. 
Une petite troupe dont la présence ne passe pas inaperçue dans les rues de ce village marqué par le radicalisme «cassoulet» du Sud-Ouest. Un petit village français honoré du titre de «ville de Justes parmi les nations». 
Dix de ses habitants ont d’ailleurs leurs noms inscrits sur le mémorial de Yad Vashem comme Justes parmi les nations. 
Une longue tradition d’accueil et de tolérance qui n’a pas empêché ce gros bourg semi-rural de tomber, au soir du second tour des municipales, dans l’escarcelle du RN de Marine Le Pen. 
Son candidat, Romain Lopez, 31 ans, a remporté la mairie avec 62,45% des voix. Une victoire courue d’avance puisqu’au soir du premier tour, le 15 mars, cet ancien assistant parlementaire de Marion Maréchal Le Pen avait obtenu plus de 47% des suffrages. 
Un jeune homme qui a fricoté avec les cercles soraliens et s’est fendu de plusieurs tweets à forts relents antisémites…
«Une erreur de jeunesse», s’en est-il excusé auprès de Jean-Claude Simon, le président de la maison des enfants de l’Association de la maison des enfants juifs de Moissac. 
«C’est incroyable, c’est invraisemblable», s’étouffe Gaby Cohn-Bendit, qui y a été abrité avec son frère Dany pendant toute la période de la guerre. Leur mère en était d’ailleurs l’économe. 
«C’est d’autant plus invraisemblable qu’il y a encore des gens à Moissac qui ont connu la période de la guerre. 
Il y a aussi les enfants des gens qui ont planqué ces gamins après l’occupation de la Zone libre en 1942. Cela nous interroge sur la permanence de la mémoire», s’étonne le politologue Jean-Yves Camus.

Xénophobie latente

A Moissac, pays du chasselas, l’accueil ne fait plus recette depuis que les exploitants agricoles du coin ont fait venir comme travailleurs saisonniers des Roms de Bulgarie. 
«Plus de 1 500 sur les dix dernières années. A Moissac, les gens sont très gênés par leur présence», souligne Romain Lopez. Une communauté aujourd’hui accusée de tous les maux. 
«Il est vrai que certains habitants trouvent qu’on les voit un peu trop. Ils vivent dehors et parlent fort. Il y a une sorte de xénophobie latente dans la population qui s’est cristallisé sur cette communauté et qui explique le vote bascule en faveur du candidat du RN», reconnaît le maire sortant de centre droit, Jean-Michel Henryot, qui ne sollicitait pas de nouveau mandat. 
Romain Lopez enfonce le clou. «Il y a clairement des problèmes d’incivilité que les gens ne supportent plus.» 
Au point que la présence de ces Roms bulgares a été au centre de toute la campagne électorale. 
Une crispation qui s’explique aussi par le fait que près d’un tiers de la population de Moissac vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Pourtant, en décembre 1939, juste avant la guerre, pendant cette période de montée des périls, quand les responsables des Eclaireurs israélites de France décident d’ouvrir cette maison en prévision du pire, personne, à Moissac n’y trouve rien à redire. 
Ni les autorités municipales et pas même les congrégations religieuses. Les gendarmes ferment les yeux. 
Le maire de l’époque, Roger Delthil, qui avait encore en mémoire le formidable élan de générosité venu de toute la France lors des grandes inondations du Sud-Ouest en 1930, enjoint même toute la population, au nom de cette même générosité, à faire bon accueil à ces réfugiés.

Refuge des enfants juifs

La maison de Moissac accueille dans un premier temps des enfants venus de Pologne, d’Autriche, d’Allemagne, de Hongrie. Des pays occupés où les Juifs sont la proie des persécutions nazis. 
Ils seront environ 500 à y trouver refuge. Parmi eux, le mime marceau et son frère, ainsi que l’écrivain Jean-Claude Grumberg. Tous y apprennent le français. Les cours sont dispensés par des professeurs révoqués par le régime de Vichy. «Pourtant tout le monde savait que nous étions là. 
Lors du Shabbat, nous traversions les rues du village pour nous rendre aux bains douches municipaux en chantant lève-toi, peuple d’Israël», se souvient encore Jean-Claude Simon, aujourd’hui âgé de 83 ans. Pas un seul ne sera dénoncé ni déporté. 
«C’était un havre de paix en temps de guerre», se souvient Gaby Cohn-Bendit, l’aînée des deux frères.
Après l’entrée des troupes de la Wehrmacht dans la zone libre, les enfants sont alors «planqués» dans des familles moissagaises. 
Le secrétaire général de la mairie fabrique alors de vrais faux papiers à tour de bras. Plus tard, il sera d’ailleurs honoré du titre de juste parmi les nations. «On nous a appris à changer de noms et à répondre à nos noms d’emprunt», explique Jean-Claude Simon.
«Je ne garde aucun souvenir traumatisant de cette période», avoue Gaby Cohn-Bendit qui reconnaît «avoir fait son petit malin» : «Un jour, je suis allé voir des soldats allemands et j’ai commencé à leur parler en allemand. Je leur ai expliqué que j’avais eu une nurse allemande.» 
Dans la région, des maquis uniquement constitués de Juifs se constituent, notamment celui de Vabre, qui contribuera à la libération de Castres et de Mazamet.

«Devoir de mémoire»

«Nous continuerons d’honorer le devoir de mémoire», assure Romain Lopez pour qui «il n’est pas question de pratiquer une quelconque forme de réécriture de l’histoire». 
Pas sûr qu’il soit le mieux placé quand on vient d’un parti dont le père fondateur, Jean-Marie Le Pen, avait déclaré que la déportation des Juifs dans les camps de la mort n’était qu’«un point de détail» de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.

Christophe Forcari

Source Liberation
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