lundi 17 février 2020

Quand des Allemands confondent bourreaux et victimes


Ruben Honigmann, rédacteur en chef à Akadem, craint qu’au pays du « plus jamais ça » érigé en devise nationale, l’antisémitisme a encore de beaux jours devant lui. Le séisme politique qui agite l’Allemagne ces derniers jours provient de loin. La galopante ascension de l’AfD, parti d’extrême droite, encore très récemment en Thuringe, est le corollaire d’un blanchiment de la mémoire à l’œuvre dans le pays où le crime a été conçu.......Détails........



Le travail de mémoire entrepris en Allemagne a longtemps suscité le respect, à juste titre. 
Certes, nul n’ignorait que la République fédérale d’Allemagne s’était reconstruite après la Seconde Guerre mondiale en recyclant une large part de l’appareil d’État nazi. 
Les nazis d’hier étaient toujours là mais l’Allemagne payait des réparations aux anciens déportés et le chancelier Willy Brandt, agenouillé le 7 décembre 1970 devant le mémorial du ghetto de Varsovie, achevait de nous convaincre qu’une prise de conscience collective avait eu lieu.

Remettre en question la profondeur de ce travail de mémoire

Pourtant, se rendre aujourd’hui en Allemagne remet en question la profondeur de ce travail de mémoire. 
À la sortie de la gare de Cologne, une exposition photographique est accolée à la célèbre cathédrale de la ville, montrant l’état de la ville dévastée en 1945. L’exposition laisse le visiteur abasourdi par le renversement historiographique qui y est à l’œuvre.
À commencer par le titre de l’exposition : « Hurra, wir leben noch ! » (« Hourra, nous sommes vivants ! »). 
Les habitants de Cologne sont présentés comme des survivants à une agression extérieure, occultant le fait que la guerre a été unilatéralement provoquée par Hitler, soutenu par l’immense majorité des Allemands jusqu’aux dernières heures de la guerre.
Le peuple allemand se souvient-il que c’est en son sein qu’a été planifiée et mise en œuvre avec une monstrueuse méticulosité la mort de millions d’innocents ? Peut-il en conscience jubiler (« Hourra » !) de sa propre survie, et se livrer à la bravade – malgré les bombes, nous sommes toujours là ? Tout cela a quelque chose d’indiciblement obscène.
La même inversion entre bourreaux et victimes se retrouve dans le choix des images. Des enfants au milieu de ruines, le regard de détresse saisi par l’objectif, c’est la première image de l’exposition. Elle en évoque immanquablement une autre : celle des enfants juifs hongrois photographiés à Auschwitz par l’Armée rouge quelques mois plus tôt. 
« Certes nous avons tué les enfants juifs, mais nos enfants aussi ont souffert du froid et de la faim », semble nous dire cette image.

« Où étaient les bourreaux ? »

Ce schéma se vérifie encore à Brême, l’une des deux seules villes d’Allemagne, avec Heidelberg, à avoir conservé un centre historique intact.
Lors d’une visite du magnifique hôtel de ville vieux de six siècles, le guide précise que Brême n’a jamais été détruite malgré « les deux occupations » qu’elle a subies : celle des troupes napoléoniennes (1806-1814) et celle… des nazis. Voilà les nazis transformés subtilement en troupes étrangères d’occupation, dédouanant du même coup les « autochtones » de leur responsabilité collective. 
Certes, Brême était une ville plutôt à gauche et en 1933 le parti nazi n’y a obtenu « que » 32,6 % des suffrages. Que cela fasse du nazisme un corps étranger semble faire consensus dans l’auditoire.
Dans un livre intitulé Kollektive Unschuld (« Innocence collective ») à paraître en Allemagne en mars 2020, le professeur en sciences politiques Samuel Salzborn se penche sur cet inquiétant phénomène. 
Dans un récent sondage fédéral, 36 % des Allemands considèrent que leurs ancêtres furent des victimes du nazisme et 70 % estiment qu’ils ne faisaient pas partie des bourreaux. « Où étaient les bourreaux ? », se demande dès lors le chercheur.
Personne ne semble plus désormais à l’abri de cette réécriture mémorielle. La chancellerie elle-même est secouée par un scandale. 
Un chauffeur d’Angela Merkel aurait été traité de « Judensau » par ses collègues. 
Judensau, la truie juive, le terme le plus injurieux à l’égard des juifs en langue allemande, qui a rythmé des siècles de haine anti-juive, du jargon de Luther aux façades des cathédrales, comme celle de Colmar, alors allemande, où l’on peut encore en voir une représentation.
Tout porte à croire qu’au pays du « plus jamais ça » érigé en devise nationale, l’antisémitisme a encore de beaux jours devant lui.....

ps: La photo en haut de page a été prise lors d'une manifestation à Thuringe après les élections du 5 février. Sur les pancartes est écrit « Ici c’est le Thuringge  ! 1930 premier ministre du parti nazi, 2020 premier ministre d’État élu avec les voix de l’AFD ! »

Source La Croix
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