lundi 9 décembre 2019

Joshua Cohen : « C’est qu’il tournait à l’envers, ce monde » (David King s’occupe de tout)


David King est à la tête d’un empire : les camions bleus de son entreprise de déménagement vous font des queues de poisson sur les routes, vous ne pouvez pas rater ses pubs sur les chaînes câblées, à la radio ou en 4×3 sur les murs. Cet empire, Joshua Cohen en fait le biais d’une saisie caustique de notre époque, dans un roman qualifié par le New Yorker de « Soprano à la juive ».......Détails........


« David King the Moving King Will Move Your Mothertrucking Everything » : David King s’occupe de tout, donc, en Tony Soprano du déménagement et du stockage. 
Mais il a fort à faire, ce roi David, au prénom biblique, dans l’Amérique d’aujourd’hui. Sa femme l’a quitté, sa fille Tammy est en pleine crise existentielle, sa maîtresse Ruth (qui est aussi la responsable administrative de sa société) voudrait une vie plus stable, ses entrepôts stockent tout ce dont les déclassés et endettés doivent se débarrasser, image d’une époque où les subprimes emportent tout sur leur passage.
Le cousin israélien de David, Yoav, s’apprête à atterrir à New York. Il vient de finir son service militaire en Israël, il va travailler (au noir) pour David et être le chien dans un fragile jeu de quilles des magouilles du roi du déménagement, surtout lorsqu’il est rejoint par son ami Uri. 
Mais avant d’aller le chercher à l’aéroport, en ce 4 Juillet, David est invité dans les Hamptons pour célébrer l’anniversaire de l’Amérique, en compagnie de quelques huiles richissimes et pontes politiques. 
Ce n’est pas son monde, il n’a ni yacht ni résidence secondaire, mais, « docile » — « policé plutôt. Un Juif, quoi » —, il écoute ce qui se dit, sur fond de « jazz immuable qui transformait le vaste monde en ascenseur ».
Le récit de ce 4 juillet, d’une causticité géniale, ouvre le roman, il s’agit en fait du discours de David à un juge — et le lecteur ne comprend que peu à peu ce qui à conduit le roi David à comparaître. 
Récupérant sa camionnette (au milieu des Rolls et Bentley de la party), David voit au loin Liberty Island et Ellis Island, « là où tout a commencé » puisque son père a immigré aux États-Unis après la guerre.
Sous son apparente linéarité, le roman de Joshua Cohen est une tour de Babel et un capharnaüm, un monde aussi disloqué que nos univers aujourd’hui. Le récit juxtapose passé et présent, tensions et espoirs, illusions perdues et tentatives de reconstruction, à l’image des entrepôts de King’s Moving qui stockent et entassent des vies brisées, reliquats de couples enfuis et familles en faillite.
La famille de David permet à l’auteur de mettre en perspective des tensions collectives, États-Unis, Israël, le religieux plus que jamais politique, la complexité d’être soi, la vacuité de stéréotypes culturels désormais dépassés. Tout ensemble hommage aux grands romans juifs américains et jeu décomplexé avec leurs topoï, le roman de Joshua Cohen est hilarant, douloureusement hilarant, comme son personnage central en pleine déconfiture : 
« le seul truc à faire pour un Juif en péril, c’est de prendre un jet pour Ben Gourion et demander l’asile mais cette option n’était pas pour lui. Lui, il était un Juif pour qui il était impossible de se réfugier en Israël. A qui il fallait un autre Israël, à qui il fallait une alternative ».

Joshua Cohen, David King s’occupe de tout (Moving Kings, 2017), trad. de l’anglais (USA) par Stéphane Vanderhaeghe, Grasset, août 2019, 336 p., 20 €

Source Diacritik
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