jeudi 21 novembre 2019

«Simone Veil, l’aube à Birkenau» : les confidences intimes d’une grande dame


David Teboul a recueilli pendant plusieurs années les confidences de Simone Veil. L’occasion de découvrir une femme libre, tolérante, mutine aussi, dont on entend la voix, comme jamais.  Simone Veil n’avait que 16 ans quand elle a été déportée.......Détails........


Il y a la Simone Veil inhumée au Panthéon le 1 er juillet 2018, parmi les grands hommes - et les femmes, de plus en plus - de la Nation. Icône de la République, ancienne Ministre, magistrate et femme d'Etat. 
Et il y a une autre Simone Veil, qui, autour de minuit, discute sur son lit, son « radeau » disait-elle, se grillant une cigarette tandis que Marceline Loridan-Ivens, sa grande copine rescapée d'Auschwitz comme elle, se roule un joint en promettant de ne pas abîmer le couvre-lit.
Une odeur de cannabis chez l'austère ex-Présidente du Parlement européen ? Simone rit et ouvre la fenêtre car son mari va bientôt rentrer. C'est cette femme-là, libre, tolérante, mutine aussi, dont on entend la voix, comme jamais, dans « Simone Veil, l'aube à Birkenau », récit de vie rassemblé sur plusieurs années par David Teboul (ed. Les Arènes, 288p., 20 euros). Il enregistre et note, c'est elle qui parle à chaque ligne.  
Peut-être n'a-t-on jamais été à ce point avec elle. La ministre de la Santé de Valéry Giscard d'Estaing, qui a défendu la loi autorisant l'IVG (interruption volontaire de grossesse) en 1975, engagée dans le combat des femmes pour leur liberté, a publié ses mémoires, « Une vie », en 2007. Un beau texte, mais parfois un peu froid. Rien à voir avec cette voix à nu qui affleure à chaque page de ses conversations avec David Teboul. Une grande dame sans illusions, et sans tabou. 
Y compris sur la nature humaine, jusque chez les déportés.
Dans le train qui roule de Drancy à Auschwitz au printemps 1944, la jeune juive de 16 ans arrêtée avec sa mère et sa sœur observe ses voisins de wagon entassés : « Ce que je savais déjà se confirmait : dans une telle situation, il y a ceux qui tiennent compte des autres, qui essaient de protéger les plus faibles, et il y a ceux qui cherchent à s'en tirer au mieux, quitte à piétiner les autres. Quand je dis piétiner, c'est vraiment le mot qui convient. »

« À Auschwitz, la mort était une porte de sortie… »

Simone Veil survivra à Auschwitz tout comme sa sœur Milou. Sa mère succombe à Bergen-Belsen, au début de l'année 1945, sous ses yeux. Sa fille a cette phrase : « Le typhus et la dysenterie sévissaient. Il n'y avait plus moyen de se laver. La mort était une porte de sortie que beaucoup espéraient. Je l'ai senti chez Maman. » Son père et son frère, déportés eux aussi, ne reviendront pas non plus.
L'ancienne membre du Conseil Constitutionnel n'a eu de cesse, tout au long de sa vie, de témoigner, tout en constatant que peu pouvaient écouter, même parmi les bonnes volontés : « Aujourd'hui, lorsque les gens vont à Birkenau ou Auschwitz, ils voient l'étendue des baraquements, ils observent un certain nombre de choses, mais on est loin de la transmission d'une expérience. Lorsque les jeunes disent qu'ils imaginent, ils n'imaginent rien du tout. Cela reste inimaginable », lâche-t-elle. 
Elle ajoute, définitive : « On parle de la Shoah avec beaucoup de phrases, on exprime une grande tristesse. On sacrifie aux usages. Mais pour bien des gens, cela ne représente rien. »

Dans son récit, c'est son ton qui marque

Si son récit ne comporte pas de révélations inédites, c'est son ton qui marque, dans son oralité, sa tristesse médusée quand elle évoque le retour en France des déportés juifs, ignorés dans la France de l'après-guerre, au détriment des résistants : « Nous rencontrions l'indifférence totale ».
Au crépuscule de sa vie, celle qui s'est battue pour l'Europe unie et la reconnaissance de la place des femmes dans la société, se désolait de l'oubli de la spécificité de la Shoah : « Ce qui me frappe, plus d'un demi-siècle après, c'est que personne n'a compris la réalité des choses. »
Pour autant, elle n'est indifférente à rien, du génocide cambodgien - elle se reproche, ainsi qu'à sa génération politique, de n'avoir rien vu venir - à celui du Rwanda. 
David Teboul l'a aussi écouté avec sa sœur Denise, déportée comme résistante, elle, et lors de ses retrouvailles avec ses amis de détresse Marceline, mais aussi Paul Schaffer, un proche, détenu dans le camp de Bobrek, et que l'adolescente de 1945 admirait parce que dans l'enfer de l'extermination, lui avait trouvé la force de tomber amoureux d'une jeune femme dans le camp… La vie d'abord, la vie toujours.

David Teboul : « Elle me parlait sans filtre »

David Teboul a 12 ans quand il découvre Simone Veil à la télévision, en 1979, dans « les dossiers de l’écran », célèbre émission de débat qui suivait ce soir-là la série américaine « Holocauste ».
À l’époque, on ne disait pas encore Shoah. On commençait tout juste à évoquer, trente-quatre ans après la guerre, le génocide des Juifs. Le jeune garçon, lui-même issu d’une famille juive, est fasciné par le verbe tranchant de l’ancienne déportée et femme politique, qui s’oppose à d’autres intervenants, et critique cette série « trop optimiste » selon elle, mais qui avait le mérite à ses yeux d’aborder enfin, fut-ce sous une forme hollywoodienne, cette tragédie.
Bien plus tard, à 30 ans, devenu cinéaste, le jeune homme la contacte pour un documentaire. 
Elle l’éconduit puis accepte. « Simone Veil, une vie française », réalisé en 2004, sera suivi d’une longue amitié. « Simone Veil, l’aube à Birkenau », le livre paru ce mercredi, condense cette parole libre, enregistrée lors de déjeuners sur plus de quinze ans, avant et après le film. 
« Simone m’avait dit : Promettez-moi que vous ferez un jour quelque chose de nos conversations, confie David Teboul.
Ce que l’on entend dans ce livre, c’est sa voix intime, hors champs. Ce qu’elle dit de sa mère, par exemple, c’est très privé. Il n’y a plus le filtre de l’écriture. C’est Simone Jacob, la jeune fille, qui parle, pas Simone Veil, la femme officielle ».

Source Le Parisien
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