mercredi 20 novembre 2019

Ressouder le monde ? Entretien avec la prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk (Interview & Audio & videos)


De passage à Paris, pour présenter son grand opus Les Livres de Jakob (Noir sur Blanc, 2018), Olga Tokarczuk nous avait accordé en octobre 2018 un grand entretien dans sa loge, avant de donner une conférence au Musée d’Art et d'Histoire du Judaïsme........Voici l'émission en audio et vidéos....... 
Née en Pologne en 1962, autrice d’une quinzaine de romans, dont sept sont déjà traduits en français, Olga Tokarczuk est sans doute aujourd’hui l’écrivaine la plus connue, la plus lue et la plus traduite de son pays. 
Récompensée par de nombreux prix (Niké, International Booker Prize, Jan Michalski), Olga Tokarczuk vient de se voir décerner le Prix Nobel de littérature 2018 pour son “imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, représente le franchissement des frontières comme forme de vie”.
Sur un ton doux et avec des mots très choisis, l’écrivaine dépeint ici son enfance à la frontière germano-polonaise, son attachement au paysage de l’Europe centrale et ses lectures multiples. 
Inquiète mais confiante dans l’avenir, elle aborde également les traumatismes de l'histoire, l’antisémitisme en Pologne, le clivage persistant entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest, et le rôle particulier de l’écrivain dans ce monde en morceaux.
Olga Tokarczuk est née à Sulechów, en Pologne. Autour d’elle, on parle polonais et allemand. A l’école, on apprend le russe. Olga passe son enfance entourée de livres dans un ancien palais transformé en université populaire. 
Adolescente, elle s’immerge dans les grands classiques romanesques, dévore Dostoïevski, Tolstoï, Gogol, Tchekhov et Faulkner à qui elle doit beaucoup. Mais l’écrivaine en herbe ressent très tôt une affinité particulière avec des romanciers comme Franz Kafka, Gustav Meyrink ou Danilo Kiš, tous issus d’Europe centrale.
“Dans cette région qui est la mienne, on accorde une grande importance à l’écriture et au côté poétique de la narration. 
Ce qui m’a attirée, c’est non seulement la manière de raconter les histoires, mais aussi une certaine anxiété. (...) J’ajouterais aussi l’ironie, une ironie bien spécifique, qui est la philosophie des impuissants. (...) Je me sens proche de tout cela.”

L'antisémitisme polonais, "maladie étrange"


Olga Tokarczuk découvre très tôt l’existence de la Shoah. Dès l’âge de six ans, elle se rend à Auschwitz avec ses parents. Cette visite du camp la transforme profondément et la sensibilise au phénomène de l’antisémitisme, qui a sévi et sévit encore encore aujourd’hui dans son pays. 

Pour l’écriture de son roman Les Livres de Jakób, l’écrivaine s’est plongée pendant huit années dans l’histoire des juifs en Pologne au XVIIIe siècle. A ses yeux, il faut considérer l'antisémitisme en Pologne comme une maladie étrange, une sorte de réaction contre sa propre identité : “Je pense que la Pologne est toujours profondément malade de la Shoah. 
Cette maladie ressemble à une sorte de réaction auto-immune, puisque la culture polonaise, et plus généralement la Pologne en tant que communauté, sont très fortement imprégnées par la culture, la religion et la mentalité juives. C’est peut-être un cas unique au monde”.
Parmi toutes ses lectures adolescentes, celle de Bruno Schulz, écrivain juif polonais assassiné en 1942, a été particulièrement déterminante. Sans les livres de Bruno Schulz, Olga Tokarczuk dit qu’elle n’aurait jamais “osé” écrire. Tous ses livres sont habités par cet imaginaire centre-européen, encore trop mal connu du reste du continent.
“Je me rends bien compte que la position de la Pologne est périphérique par rapport aux grands centres européens. 
Et c’est une bonne chose, car je suis profondément convaincue que c’est justement à la périphérie que beaucoup d’idées voient le jour. 
J’aime m’occuper de la périphérie dans mes livres. Je l’appelle ‘l'excentrisme’, quelque chose qui se trouve « ex centrum », en dehors du centre”.

La grenouille et le drone

Observer le monde depuis la périphérie ne veut pas pour autant dire qu’on le regarde de loin, mais autrement. Olga Tokarczuk adopte souvent dans ses livres un double point de vue, celui de la “grenouille” qui regarde les choses d’en bas, et celui du “drone” qui permet d’avoir une vue d’ensemble. 

C’est sa manière à elle, poétique, fragmentaire et décalée, d’être réaliste. D’ailleurs, l’écrivaine ne croit pas que la littérature puisse être coupée de ce qui se passe à l’extérieur : 
“Dans tout ce qu’on écrit se retrouve une trace des problèmes de notre temps, de la douleur de l’époque à laquelle nous vivons. 
Si un livre est écrit d’une manière sincère, s’il vient du fond du cœur, il devient tout de suite politique.”
Dans ce monde douloureux et incertain, l’une des grandes tâches de la littérature est de recoudre ce qui a été séparé, disjoint par les vicissitudes de l’histoire ou les simplifications de la pensée. 
“Je traite l’écriture comme une manière de ressouder le monde. (...) Nous devons aujourd’hui fournir un véritable effort pour redonner du sens au monde.”

Bibliographie

Dieu, le temps, les hommes et les anges (Robert Laffont, 1998)

Maison de jour, maison de nuit (Robert Laffont, 2001)
Récits ultimes, (Noir sur Blanc, 2007)
Les Pérégrins, (Noir sur Blanc, 2010)
Sur les ossements des morts (Noir sur Blanc, 2012)
Les Enfants verts (La Contre-allée, 2016)
Les Livres de Jakób (Noir sur Blanc, 2018)

Ecoutez l'emission ici:
   


Liens Spoor (Pokot), film policier polonais réalisé par Agnieszka Holland d’après le roman Sur les ossements des morts d'Olga Tokarczuk, Studio Filmowe Tor, 2017
  
      
Olga Tokarczuk parle de son roman Les Livres de Jakób
        

Remerciements Anna Juszczak et Les Editions Noir sur Blanc et Sophie Andrieu et le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Source France Culture
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