mardi 29 octobre 2019

Comment cinq juifs raflés au Saillant (Corrèze) le 15 avril 1944 ont été sauvés de l’oubli


Il fallu 25 ans à l’historien local Jean-Michel Valade pour obtenir qu’une stèle rappelle enfin aux passants que, le 15 avril 1944, au Saillant (près de Brive (Corrèze), cinq victimes juives furent raflées, déportées et assassinées. Car le destin tragique de ces réfugiés avait été oublié de tous. En ce mois d’avril 1944, ils avaient 30, 55 ou 70 ans. Ils étaient nés en Grèce ou en Pologne et pensaient que la France les protégerait de l’horreur nazie.......Détails........



Ils se trompaient. Ces cinq hommes et femmes sont morts deux fois. La première quand, dans le parc du château du Saillant de Voutezac, près de Brive, en Corrèze, le tri impitoyable des miliciens les a dirigés vers la mort. Elle avait un nom : Auschwitz, Kaunas, Reval.
La seconde, lorsqu’Israël, Jacques, Hananel, Ida et Miren ont disparu de la mémoire des habitants du Saillant. 
Car, de cette fameuse rafle du 15 avril 1944, les villageois n’ont longtemps retenu que la rétention de vingt-et-un otages, la déportation de cinq d’entre eux, tous « du cru » et le retour de l’unique survivant.

Rappel des faits 

Le 15 avril 1944, la population du Saillant (un village à cheval sur les communes d’Allassac et de Voutezac) est regroupée dans le mur d’enceinte du château du Saillant de Voutezac, au prétexte de contrôler touts les papiers d’identité. 
Tous les accès au village sont bloqués. 
Vingt-et-une personnes sont arrêtées. Dix sont déportées : les cinq juifs du Saillant et cinq Corréziens, dont un seul reviendra.
La division Brehmer, mise en place au printemps 1944 pour traquer les juifs et les Résistants, fut responsable de trois mille arrestations en Corrèze. 
Au Saillant, ce sont les « forces supplétives de l’occupant » qui sont aux manettes : la brigade nord-africaine, des mercenaires placés sous les ordres de la bande Bonny-Laffont.

Une première stèle fait l'impasse sur les victimes juives

Quand, en 1985, la commune de Voutezac décide d’ériger une stèle en souvenir de cette funeste journée, ce sont les noms des quatre Corréziens déportés et morts à Neuengamme qui sont gravés dans la pierre. Pas une mention des cinq victimes juives, rayées de de la mémoire collective.
Il aura fallu qu’un enfant du pays, devenu professeur et passionné d’histoire locale, s’intéresse à cette rafle puis s’acharne pendant un quart de siècle pour que, au mois d’avril 2019, les noms d’Israël,  de Jacques, d’Hananel, d’Ida et de Miren s’affichent à leur tour sur une deuxième stèle.

Un très long combat contre l'oubli

« Ça a été un très long combat », résume Jean-Michel Valade. Le Corrézien commence à s’intéresser à cet épisode en 1994, lors du cinquantième anniversaire de la rafle. 
« J’en avais entendu parler par mes parents : ma mère, qui avait 21 ans à l’époque, avait été raflée puis relâchée. Pas mon père, qui avait alors 23 ans : il s’était caché quand il avait entendu le bruit des camions. »

Des familles juives s'étaient bien réfugiées au Saillant

Jean-Michel Valade, en bon historien, fait preuve de curiosité. Il se demande, puisqu’on connaît le nom des cinq déportés, qui étaient les 16 autres personnes arrêtées à l’issue de la rafle ? 
« J’ai recueilli des témoignages. J’ai trouvé le rapport de police, je l’ai croisé avec d’autres sources... » Il découvre que certains ont été libérés après quelques jours mais que cinq juifs ont été arrêtés. 
« Je n’en savais pas plus. J’ai questionné ma mère, qui ne m’en avait jamais parlé. » Elle lui confirme alors que des familles juives étaient réfugiées au Saillant.

Des victimes qui n'ont longtemps intéressé personne

Le temps passe. Au début des années 2000, par un concours de circonstances, Jean-Michel Valade est invité à faire un discours lors des commémorations de la rafle du Saillant. 
« Chaque année, je parlais de ces victimes juives qui n’étaient pas mentionnées sur la stèle. Jamais personne ne m’a posé de question. » Personne ne le contredit. Personne ne semble vouloir en savoir davantage.

La découverte reçoit une « indifférence courtoise »

Ses recherches se poursuivent : Jean-Michel Valade parvient à trouver l’identité des victimes. Il se tourne alors vers la municipalité de Voutezac, pour demander « la réparation de ce déni d’histoire ». 
Il veut que les noms d’Israël, de Jacques, d’Hananel, d’Ida et de Miren viennent rejoindre ceux des déportés corréziens. Mais il ne reçoit en retour qu’une « indifférence courtoise ». Même un courrier officiel, en 2008, restera sans réponse.

Qui étaient-ils ?

Israël Lustig, aussi connu sous le nom d’Henri Guitel était né le 30 avril 1989, à Lodz (Pologne). Il semble qu’il était monteur électricien. Il est mort le 20 mai 1944 soit à Kaunas (Lituanie), soit à Reval (Estonie). 
Jacques Biglazen était né le 23 octobre 1914 à Tomaszow (Pologne). Ce coiffeur a été incarcéré à la prison de Limoges du 21 avril au 9 mai et est mort en déportation. 
Jacques et Israël étaient dans le convoi 73, qui a quitté Drancy le 15 mai 1944. Il est resté tristement célèbre car il avait pour destination, et c’est le seul convoi français dans ce cas, la Lituanie et l’Estonie. 
Jusqu’à la frontière franco-allemande, ce sont des Français qui manœuvrent le train. 
Dans ce convoi, dans des wagons à bestiaux, à 80 personnes par wagon, ont voyagé 878 déportés, dont 38 enfants. Il y avait là le père et le frère de Simone Veil et le directeur de la maison d’Izieu. 
Seuls 22 déportés en sont revenus.
Hananel (né en 1874), Ida (1907) et Miren Revah (1897) étaient tous trois nés à Salonique (Grèce). 
Ils ont transité par la prison de Limoges puis ont été déportées par le convoi 74, parti de Drancy le 20 mai 1944. 
Le convoi, composé de wagons à bestiaux est manœuvré par des Français jusqu’à la frontière franco-allemenade. 
Il n’arrive que le 23 mai à Auschwitz. A son bord, se trouvaient 1.200 personnes dont 188 enfants : 732 déportés ont été immédiatement gazés. 157 personnes ont survécu. Hananel, Ida et Miren sont morts à Auschwitz.

Un roman pour réveiller les consciences

Les temps passe encore. En 2016, Jean-Michel Valade publie La Stèle, chez Geste éditions, un roman où il aborde cette histoire qui l’obsède. Pas plus que ses discours, son livre ne parvient pas à soulever la chape d’oubli qui emprisonne les cinq victimes juives.

Tout s'emballe quand la famille des victimes s'en mêle

Il faudra attendre l’année 2018 pour que le mur du non-dit se fissure. Jean-Michel Valade donne une conférence à Voutezac sur la Première Guerre mondiale. 
La maire de la commune, aux affaires depuis quatre ans, vient échanger avec lui. Il en profiter pour formuler une nouvelle fois sa requête. Nicole Poulverel est interpellée. 
« Et là, tout c’est emballé », se souvient Jean-Michel Valade. Car, dans le même temps, l’arrière-petit-fils d’une des victimes a remonté le fil.
Cela a été déterminant. C’était la famille d’une victime qui faisait cette demande, ça changeait tout.

Une seconde stèle finalement érigée en 2019

Le 27 septembre 2018, le conseil municipal de Voutezac accepte, à l’unanimité, de faire installer une seconde stèle qui honore la mémoire des cinq victimes juives. Chaque mot est pesé. La participation de l’État français à ces exactions n’est pas oubliée.
Mais la réparation d’un tel oubli n’a pas soulevé l’enthousiasme des autorités. Le 14 avril de cette année, lorsque la plaque a été dévoilée, il y avait 150 personnes dans l’assistance, les enfants des écoles, de très nombreux porte-drapeaux et une trentaine de descendants des victimes juives. « Mais ni le préfet, ni le sous-préfet ni les parlementaires ne sont venus, regrette Jean-Michel Valade. Invités, ils étaient excusés... »
Malgré tout, l’historien a achevé son combat. Désormais, devant le mur d’enceinte du château du Saillant de Voutezac, cinq noms rappellent que, jusque dans ce petit paradis de la Corrèze, la barbarie nazie a frappé.

Source La Montagne
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