mercredi 15 mai 2019

Entretien avec le penseur et historien israélien Yuval Noah Harari


Yuval Noah Harari est l'un des penseurs les plus influents de notre génération. Les gouvernements et les leaders des plus grandes multinationales le consultent. Cet historien israélien professeur à l'université hébraïque de Jérusalem est l'auteur des best sellers internationaux "Sapiens : une brève histoire de l'humanité" et sa suite "Homo Deus : une brève histoire de l'avenir". Nous l'avons rencontré après une conférence à Budapest......Entretien........



Euronews : Commençons par un pari. Les élections européennes approchent et l’avenir de l’UE est au centre des débats. Dans quelle mesure seriez-vous prêt à parier que dans quinze ans, il y aura toujours une Union européenne ?
Yuval Noah Harari : Je ne sais pas. En tant qu'historien, je sais qu'il est impossible de prédire l'avenir de telles choses. Très souvent, les choses les plus inattendues se produisent. 
Quelques mois seulement avant les révolutions de 1989 en Europe de l'Est, personne ne s'y attendait ... Cinq ans plus tôt, cela aurait ressemblé à une science-fiction. Il en va de même pour l'avenir de l'UE. 
J'espère que les électeurs prendront les bonnes décisions et garderont l'Union européenne, parce que cela est essentiel non seulement pour la paix et la prospérité de l'Europe, mais également pour la paix et la prospérité du monde entier.

Euronews : Dans vos ouvrages, vous soulignez que les défis mondiaux ne peuvent être résolus que par la coopération. Mais actuellement, il semble que la coopération soit difficile dans le monde entier. Le nationalisme s'est renforcé à travers l'Europe. Pourquoi le nationalisme a-t-il gagné du terrain, et quelle devrait être la réponse à cela ?
Yuval Noah Harari : Les gens devraient se rendre compte que l'humanité est actuellement confrontée à trois menaces existentielles qui ne peuvent pas être résolues au niveau national. Elles ne peuvent être résolues qu'au niveau mondial. 
Ces menaces sont la guerre nucléaire , le changement climatique et la désorganisation technologique, en particulier la montée de l'intelligence artificielle (IA) et de la bio-ingénierie. Ces deux choses peuvent détruire ce que signifie être humain. 
La seule façon de gérer cela est la coopération mondiale. Si nous commençons la course aux armements dans le domaine de l'intelligence artificielle, ou dans le domaine de la génétique, cela garantit la destruction de l'humanité. Peu importe qui remportera cette course, l’humanité sera perdante.

Euronews : La pensée binaire peut être dangereuse dans ce contexte de montée du nationalisme.
Yuval Noah Harari : Le nationalisme a un bon et un mauvais côté. Le nationalisme a été l’un des développements les plus positifs de l’histoire humaine, mais il a aussi un côté dangereux. 
Le côté positif du nationalisme est qu’il permet à des millions de gens de s’occuper les uns des autres et de coopérer. 
Le côté pervers du nationalisme consiste à haïr les étrangers. Je pense que ce n'est pas l'essence du nationalisme. 
Une partie des problèmes que vous voyez aujourd'hui dans certaines parties du monde viennent du fait qu'au lieu de se préoccuper d'aimer ses compatriotes, vous avez des gens qui se concentrent sur la haine des étrangers. 
Vous avez des gens qui peuvent souvent être corrompus, ils prennent de l'argent du système de santé, ils ne défendent pas vraiment les intérêts de leurs concitoyens. 
Mais ensuite, ils se présentent comme de très bons patriotes. Pourquoi ? Parce qu'ils détestent les étrangers.

Euronews : Beaucoup de gens ne souhaitent que renforcer leurs convictions, leur opinion, au lieu de lire des informations crédibles. Comment revenir sur le chemin de la discussion rationnelle quand certains dirigeants évitent à tout prix le bon sens, en montrant des boucs émissaires comme George Soros, Fetullah Gulen ou les libéraux ?
Yuval Noah Harari : Ce n'est pas nouveau, c'est une stratégie ancienne. Mais ce qui est nouveau maintenant, c’est que nous disposons de ces nouvelles technologies extrêmement puissantes pour détourner et abuser l’attention humaine. 
Le problème auquel nous sommes confrontés actuellement est que la technologie surmonte nos faiblesses. 
Nous disposons maintenant de puissantes technologies capables d'identifier nos faiblesses, ce que nous ressentons, ce que nous détestons et d'attirer notre attention en appuyant sur ces boutons émotionnels. 
Nous devons réglementer ces technologies dangereuses pour protéger les humains contre le piratage, l’exploitation, protéger l’attention humaine contre les abus.

Euronews : Ne craignez-vous pas que les dictatures de type Orwellienne abusent de ces données numériques ?
Yuval Noah Harari : J'ai très peur. Je pense que la technologie actuelle permet de créer beaucoup plus de régimes totalitaires que tout ce que nous avons vu dans l’histoire humaine. 
Encore plus extrême que ce que George Orwell a imaginé. Parce qu'Orwell a imaginé une situation dans laquelle il existe un régime totalitaire qui vous surveille tout le temps, mais uniquement dans le monde extérieur. 
Ce que vous faites, où vous allez, qui vous rencontrez, ce que vous dites. Nous disposons maintenant d'une technologie qui peut surveiller les gens 24 heures sur 24, sur l'ensemble de la population, même sur ce qui se passe dans leur corps. 
Avec des capteurs biométriques en utilisant la combinaison de l'Intelligence Artificielle et de la biotechnologie. Il existe déjà des écoles en Chine, par exemple, où les étudiants portent des bracelets biométriques. Maintenant, ils disent qu'ils l'utilisent à des fins éducatives. 
Le professeur sait si vous vous êtes endormi, si vous vous ennuyez, si vous avez des difficultés. Mais la même technologie peut être utilisée à des fins politiques. Ce que nous avons vu au 20ème siècle avec Staline, Hitler ou Mao n'est rien comparé à ce type de machines qui ont déjà commencé à être construites aujourd'hui.

Euronews : À quel genre de dangers devons-nous faire face s'il y a une élite qui a une longue espérance de vie, face à des masses opprimées ?
Yuval Noah Harari : Si nous n'utilisons pas correctement les nouvelles technologies, le résultat est celui que vous décrivez. 
La biotechnologie sera utilisée pour donner à une petite élite un statut surhumain, où la plupart des gens sont laissés pour compte. 
L’humanité est donc divisée en espèces différentes. Pour la première fois de l’histoire, les riches seront une espèce différente de celle des pauvres. Ce serait la plus grande inégalité de l’histoire. 
Beaucoup d'emplois vont disparaître mais de nouveaux emplois vont émerger. Le véritable problème ne sera pas l’absence absolue d’emplois, mais bien le recyclage des personnes. Les gens doivent changer de travail encore et encore, pour apprendre tout au long de leur vie. 
Actuellement, le système éducatif ne les prépare pas à cela.

Euronews : En tant que citoyen d'Israël, comment vos pensées sont-elles influencées lorsque vous entendez constamment le bruit des bombardements et des sirènes ?
Yuval Noah Harari : Je ne l’entends pas constamment, ça arrive de temps en temps. La situation à Gaza est vraiment terrible pour les personnes qui y vivent, mais en Israël, la plupart des gens mènent une vie très normale. Cela influence certainement ma pensée.
Je pense que je suis beaucoup moins naïf  sur certaines réflexions. Si j'habitais à San Francisco, en Californie, j'aurais facilement cette vision optimiste: « ah oui, la technologie est merveilleuse, elle fait toutes ces choses merveilleuses pour l'humanité ». 
Si vous vivez en Israël, vous réalisez que l'humanité a beaucoup de côtés sombres.

Euronews : Chaque année vous prenez une sorte de retraite pour méditer. Comment arrivez-vous à vivre votre vie quotidienne après ça ?
Yuval Noah Harari : Tout va si vite, les technologies, la politique ... Il est plus important que jamais de prendre du temps, de se déconnecter complètement pour se donner le temps de se connaître vraiment et de réfléchir profondément à ces questions. 
Nous n’avons presque plus de temps, et nous devons prendre les décisions les plus importantes de l’histoire de l’humanité au cours des prochaines années. Nous avons maintenant des pouvoirs divins de création et de destruction. 
Et ce sont les humains, pas les dieux, qui doivent décider quoi faire avec cela. Une de mes préoccupations lorsque je rencontre des personnalités importantes – comme le patron de Facebook, Mark Zuckerberg et le chancelier autrichien Sebastian Kurz -  est que ces dirigeants n'ont pas le temps.
Ils n’ont pas le temps de s’asseoir et de se détendre, de réfléchir aux choses en profondeur. Parce qu'ils se dépêchent tout le temps pour résoudre telle ou telle crise.

Source Yahoo Actualite

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