jeudi 16 mai 2019

Belgique: Stéphane Mandelbaum, l’irrévérencieux au centre Pompidou


Inclassable et contemporaine, l’œuvre graphique de Stéphane Mandelbaum, mort dans des circonstances trouble à 25 ans (assassiné....), est bouleversante. À travers les œuvres choisies, l’exposition inattendue du Centre Pompidou pénètre dans l’esprit chaotique du jeune peintre.......Détails........



Une centaine de dessins – réalisés au stylo bille, au fusain, à la mine de plomb mêlés à des collages, des citations ou des insultes –  forment une histoire en quatre chapitres distincts à travers les obsessions visuelles de l’artiste. 
Un récit où se côtoient divers portraits de personnages : des nazis et des prostitués, des parents et des grandes figures de son panthéon personnel.

Kischmatores (Arié Mandelbaum), 1982-Collection Géraldine et Emmanuel Poznanski, Bruxelles
© Stéphane Mandelbaum © Roger Asselberghs /Adagp, Paris 2019

La première partie pourrait se nommer « héritage », celui des ancêtres et du judaïsme détourné par l’artiste. 
Des visages tordus par la douleur, de grands portraits classiques aux allures de photographies pourtant déformés par des inscriptions obscènes. Mandelbaum est profondément marqué par sa judaïté, les représentations de son grand-père (déporté et survivant de la Shoah) et de son père sont entourées d’écritures en yiddish. 
Animé par la vengeance historique, le jeune homme a lu le texte de Pierre Goldman Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France dont il fait le portrait comme figure de martyre militant. Plus tard il sera influencé par Shoah de Claude Lanzmann qu’il voit à sa sortie en 1985.
Identification et répulsion se répondent en miroir. 
Stéphane Mandelbaum exorcise le fascisme dans son travail en posant sur le papier les faciès de hauts dignitaires nazis, en assimilant leur visage à la sexualité en y juxtaposant des photographies pornographiques.

Der Goebbels, Vers 1980
© Stéphane Mandelbaum © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dits. RMN-GP

Ami de l’artiste, le peintre Paul Trajman imagine qu’« il lui fallait peut-être distancer la douleur en peignant les nazis, c’était une empreinte qu’il devait « catharsiser », défigurer la souffrance pour s’en libérer ».  Cette fascination du peintre pour ces tortionnaires de la Seconde Guerre Mondiale pourrait être le deuxième volet de cette exposition.  
Une trinité de portrait de monstres se détache. Joseph Goebbels – le proche d’Hitler le plus puissant du régime nazi suicidé en 1945 -, Ernst Röhm – le fondateur de la SA et chef de ce groupe paramilitaire tué en 1934 (« officiellement » pour homosexualité, officieusement car Hitler souhaitait se débarrasser de la SA, une fois la chancellerie obtenue). 
Mandelbaum a aussi portraituré Heinrich Himmler, le chef des SS et de la Gestapo également suicidé en 1945. 
À ces trois anomalies de l’Histoire s’opposent trois artistes déifiés aux destins tragiques. 
Trois figures révoltées et provocatrices sur lesquelles Mandelbaum calque ses obsessions personnelles. 
Le poète Arthur Rimbaud pour sa précocité, le peintre Francis Bacon pour la violence de son art et le cinéaste Pier Paolo Pasolini pour son engagement et son inconvenance.

Composition (Portrait of Bacon), 1980-Collection particulère
© Stéphane Mandelbaum © Frederic Dehaen/Adagp, Paris 2019

La dernière salle de cette courte exposition s’adresse aux marginaux, prostituées et truands. 
D’un côté, dans une volonté de détournement de l’orientalisme, Stéphane Mandelbaum cite volontiers dans ses dessins les estampes d’Hokusai, le théâtre Nô et n’hésite pas à reproduire une image du film L’Empire des sens d’Õshima. De l’autre, la pornographie et une fascination pour les protagonistes du quartier de Kinshasa, surnommé le « Matongue » Bruxellois, qu’il fréquente avant sa disparition. 
Ces visages auxquels il donne des prénoms s’animent dans les bars, les clubs, l’artiste en fait des portraits fourmillant d’infimes détails. 
A cela s’ajoute des compositions et des carnets de notes, Dix années d’une œuvre de jeunesse aussi foisonnante qu’étouffante, à tel point qu’il est impossible de déterminer si chaque dessin était pensé tel quel ou si le peintre revenait y annoter des mots, des logorrhées parfois ambigües, parfois explicatives. 
Si les dessins de Stéphane Mandelbaum sont aussi intenses, imprégnés par l’urgence d’exister en tant qu’œuvres, la courte existence de celui-ci semble digne d’un grand roman. 
Né en 1961 à Bruxelles, il est le fils du peintre juif Arié Mandelbaum et de l’illustratrice arménienne Pili Mandelbaum. 
Diagnostiqué très jeune dyslexique et inadapté, il est placé pendant trois ans dans une école expérimentale, le Snark. 
Il développe alors le dessin comme premier mode d’expression. Stéphane suit des cours à l’Académie d’art de Watermael-Boitsfort puis à partir de 1979, il fréquente l’école d’art d’Uccle où il assiste son père, directeur de l’Académie et enseignant. Très vite, Stéphane Mandelbaum s’installe dans le quartier Saint-Gilles de la capitale belge et épouse une jeune femme Zaïroise (d’origine Congolaise), prénommée Claudia et adopte sa petite fille Nadia.
Paul Trajman fait sa rencontre en 1985 à l’école d’Uccle. 
Il se souvient d’ « un jeune homme à part, total, d’une grande liberté dans son quotidien » avec lequel il passait ses journées: « chez lui, il y avait de la musique Yiddish dans son appartement, sa femme, Claudia, d’origine congolaise nous préparait de la biche au Magnoc, des gens allaient et venaient, la table était grande et la porte, toujours ouverte, c’était un atelier appartement avec une ambiance très libre, une époque très exaltante. » 
Personnalité insaisissable, Mandelbaum se tourne vers le banditisme – à l’instar de son héros Pierre Goldman – et le côté obscur des nuits bruxelloises où il se brulera les ailes. 
Le 12 octobre 1986, il participe au vol en bande organisée du tableau, La Femme au camée de Modigliani, à Ixelles. 
Le 1erdécembre, l’artiste disparait. 
Assassiné comme Pasolini, son corps sera retrouvé un mois plus tard dans un terrain vague près de Namur par des enfants. 
Il a seulement vingt-cinq ans. Le mystère qui entoure cette mort persiste encore: était-ce un de ces complices ou un meurtre commandité par le propriétaire du Modigliani ? 
Cette tragédie appose le mot « mythe » sur le peintre. Si le talent de Mandelbaum est évident, ce décès prématuré le consacre, semblable à ses idoles. 
Jeune homme au mille visages, Stéphane Mandelbaum semble avoir créé sa vie, imaginé sa mort, joué avec sa propre destinée. 
Son œuvre est le témoin de ces différentes vies où se mêlent fiction et réalité. A posteriori, les dessins exposés reflètent l’énergie et l’urgence de s’exprimer avant de disparaitre. 
La souffrance et la violence qui en émanent visent radicalement les tripes du visiteur. 
Mythomane invétéré, l’artiste frénétique a en premier lieu imaginé cette vie de gangster en remplissant ses carnets d’inventaires et de simples croquis de meubles, de vêtements ou d’armes, des vols qu’il n’aurait jamais commis. 
Peu à peu, ses dessins se font plus rare, il devient les voyous qu’il représentait. Selon Paul Trajman, même physiquement « il était capable de se métamorphoser, il était chétif petit et s’est bâti une toute autre allure par la suite ». 
Le peintre rajoute qu’  « il y avait le Stéphane du jour et le Stéphane nocturne » lui, le fréquentait la journée, « toute une part d’ombre est partie avec lui. » 
Ainsi toute l’œuvre entière de Mandelbaum apparait paradoxale, singulière et extrême. 
Il aura – durant dix ans – brisé toutes les frontières de l’illusion et de la transgression jusqu’à y laisser sa vie. Ses œuvres de jeunesse resteront à jamais un mystère radical graphique, une légende trouble et obsédante.

Remerciements à Paul Trajman pour ses souvenirs de jeunesse.

Informations pratiques : Stéphane Mandelbaum – Jusqu’au au 20 mai 2019 à la Galerie d’art Graphique du Centre Pompidou (niveau 4) puis du 14 juin au 22 septembre 2019 au Musée juif de Belgique.

Source Maze

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