mardi 16 avril 2019

Le saviez-vous ? Idi Amin Dada voulait "envahir l’ennemi sioniste avec sa glorieuse armée" !


La rumeur gronde dans les rues de Kampala, capitale de l’Ouganda, ce 11 avril 1979 : « La dictature fasciste est finie », selon la terminologie des socialistes tanzaniens. Appuyés par l’armée tanzanienne, les soldats défilant sous la bannière du Front national de libération de Yusuf Lule, futur président par intérim, envahissent les rues........Détails.........



Entre l’odeur du sang et des bougainvilliers, les habitants sortent de leur tanière, fleurissant les soldats du président tanzanien, Julius Nyerere. Dans cette « perle de l’Afrique », dixit Winston Churchill, le monde découvre les ténèbres : les exécutions massives et les détenus du « bureau de recherche d’État » censés devoir leur survie à la chair consommée de leurs compagnons morts en cellule…
Quelques mois auparavant (octobre 1978), Idi Amin Dada, autopromu maréchal, avait commis l’irréparable dans le croissant tanzanien : arguant d’infiltrations rebelles de l’ex-président Milton Obote sur son territoire, le « conquérant de l’Empire britannique » provoquait Julius Nyerere, lui suggérant, bravache, de régler leur contentieux sur un ring de boxe. Après quatre mois de combat, le « lion de l’Ujama effrayait les rats meurtriers d’Amin ». Amin Dada prend la route de l’exil, d’abord en direction de la Libye, puis de l’Arabie saoudite, où il meurt en 2003.
« Ubu » ou « Caligula » noir, « César de pacotille et clown sinistre », « dictateur féru de sorcellerie »… La figure d’Idi Amin, surnommé « Big Daddy », évoque un personnage fou, sanguinaire, brutal, et suscite l’effroi : huit années de règne (2 février 1971-11 avril 1979) qui incarnent un régime de terreur et un bilan, 300 000 victimes (1).
Sujet d’une filmographie abondante, Amin Dada réveille aussi l’imagerie coloniale du « roi nègre », chargée de discours racistes. Raillant le physique hors normes de « ce colosse de 1,90 m pour 120 kg », « le Figaro » ne le comparait-il pas à « King Kong en uniforme » (1979), l’assimilant ipso facto à un singe ? Denis Hill (universitaire ougandais d’origine britannique), pourtant condamné à mort en 1975 pour l’avoir qualifié de « tyran de village », préférera soutenir qu’Idi Amin avait enfin « réalisé un rêve africain », celui de « la création d’un État vraiment noir ».
Né entre 1923 et 1925 à Koboko (province du Nil occidental, proche du Sud Soudan), Idi Amin a certes caressé ce rêve à la manière d’un Mobutu Sese Seko, ex- « roi du Zaïre » dévoré comme lui par cette ambition, au terme d’une ascension autant forgée que contrariée par le sceau colonial.
Issus des Kakwas (populations nilotiques), il serait le fils d’un soldat de régiment de l’armée britannique, Andreas Nyabire, ex-catholique, devenu Amin Dada lors de sa conversion à l’islam (1910). 
Sa mère, réputée selon certaines sources pour ses pratiques magico-religieuses, et accessoirement « femme à soldats », aurait servi le roi Daudi Chwa du Buganda (ancien royaume). 
Un occultisme qui persiste dans l’histoire moderne du pays, incarné par l’ex-prophétesse guerrière Alice Lakwena (1956-2007), puis par Joseph Kony, alias « le Messie sanglant », de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), ersatz africain et chrétien de l’« État islamique » d’Abou Bakr Al Baghdadi, recherché par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Fils illégitime, Amin suit sa mère à Jinja, dans le quartier de relégation des Nubiens, puis dans le périple des garnisons. 
Et son origine nubienne est, sans nul doute, lourde de sens : les Nubi se sont dispersés en Afrique de l’Est, d’abord en échappant aux réseaux d’esclaves des côtes swahilies, puis en s’engageant dans l’armée coloniale britannique. « Les gens qui vivent dans ces contrées sont rudes et cruels. Réputés pour leur goût du sang et des sacrifices humains. 
Tous les Ougandais, à tort ou à raison, les méprisent parce qu’ils sont illettrés », écrit le diplomate Denis Ropa (1995). Amin porte ce stigmate : celui d’une condition servile et subalterne attribuée aux habitants du nord ougandais. Son engagement dans les King’s African Rifles (1946) est conforme à celui de ces citoyens de troisième classe qui forment l’armée de réserve des régiments coloniaux.
La prise du pouvoir d’Idi Amin lors du coup d’État de 1971 ne fut pas un accident : elle résulte d’une ascension invisible dans l’histoire politique de l’Ouganda. 
Dès 1953, Amin se fait remarquer contre les rebelles Mau-Mau au Kenya. Tortures, exécutions sommaires, populations affamées sont au menu de l’atmosphère impitoyable dans laquelle baigne le soldat Amin. Plus tard, il s’illustre par une répression brutale du peuple Karamojong (nord-est de l’Ouganda). 
Il échappe au tribunal militaire sur l’intervention du futur président Milton Obote. 
Et lorsque son pays accède à l’indépendance (1962), ce pur produit de la violence et de la cruauté coloniale a déjà liquidé ses valeurs morales. Entre-temps, il a atteint le sommet de la hiérarchie militaire réservé aux « natifs » : celui de sergent-chef.
Au moment de l’indépendance (9 octobre 1962), le paysage politique s’organise autour du Parti démocratique (DP), du Kabaka Yekka (KY, Parti du roi du Buganda), et de l’Uganda People Congress (UPC), d’Apollo Milton Obote. Ce dernier devient le « premier ministre » et son rival, Edward Mutesa (KY), président de l’Ouganda. 
Mais l’union se fissure, d’avantage en raison des clivages ethniques et religieux longtemps instrumentalisés par le colon britannique que par des différences idéologiques majeures. 
La volatilité des élites politiques, circulant d’un parti à l’autre, a pour principal objectif de limiter l’influence communiste croissante de John Kakonge, secrétaire général de l’UPC, le parti de Milton Obote, lui aussi considéré comme pro-socialiste et trop proche de l’URSS.
Dans cette configuration, les militaires restent en position d’arbitre. Et c’est à la faveur d’allégations de trafic d’or et de café impliquant les membres du gouvernement que le colonel Idi Amin, parti compléter sa formation militaire au Royaume-Uni et en Israël, réapparaît, en octobre 1964, comme « sous-commandant en chef des forces armées ». 
Le 22 février 1966, Obote et Idi Amin font un coup de force : les principaux leaders de l’UPC sont arrêtés, la Constitution de 1960 est suspendue, le pays sombre dans les conflits et la violence. 
Le coup s’achève avec la « bataille de Mengo », au cours de laquelle Idi Amin contraint l’ex-président Edward Mutesa vers un exil définitif en Angleterre. Dès lors, le face-à-face entre le leader de l’indépendance (Obote) et celui de l’appareil militaire colonial (Amin Dada) commence, avec en toile de fond la politique du flingue et le pouvoir des politiciens.
En 1969, tentant de combler le vide idéologique, l’UPC opère un « move to the left ». 
À la déclaration d’Arusha dans laquelle Julius Nyerere déclare l’Ujamaa to Africa, Obote répond par la Common Man’s Charter. 
Celle-ci est immédiatement suivie de mesures : l’acquisition par l’État à hauteur de 60 % des 84 plus grosses entreprises (industrie, finance, commerce) ; la création d’un service public ; la régulation du commerce ; l’instauration d’un système électoral éliminant les logiques tribales. 
Mais ce virage à gauche, marqué par une politique étrangère plus radicale, vient trop tard. 
Le ver est dans le fruit : Obote vient de confier la réorganisation de l’armée à son commandant en chef, Idi Amin, alors même que l’Ouganda devient le bastion à défendre face au basculement socialiste de la sous-région.
Idi Amin mène son putsch (25 janvier 1971) lors d’un déplacement d’Obote. Une première tentative infructueuse (1969) l’avait conduit à réorganiser l’armée, qu’il renforcera plus tard avec 2 000 supplétifs issus du Sud Soudan, recrutés avec l’appui des services secrets israéliens.
Un épisode qui symbolise la singulière histoire entre Tel-Aviv et Kampala : en 1903, un plan d’implantation juive au Kenya, alors sous l’autorité de l’Empire britannique, baptisé « projet Ouganda », avait été présenté par Theodor Herzl lors du sixième Congrès sioniste, approuvé à la majorité, puis rejeté deux ans plus tard. 
Littéralement obsédé par Israël et la question juive, Amin Dada cite régulièrement « les Protocoles des Sages de Sion » comme son ouvrage de chevet. 
Devant la caméra stupéfaite de Barbet Schroeder, il présente ses plans surréalistes d’invasion militaire de l’ennemi sioniste par sa glorieuse armée. Et lorsqu’un commando israélien viendra à Entebbe libérer les otages d’un avion détourné par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) en 1976, il fera exécuter une partie du personnel de l’aéroport comme un exutoire à sa fureur. 
Les stratèges israéliens ont également planifié de longue date leur intérêt pour l’Ouganda, perçu comme une « profondeur stratégique » pour affaiblir et diviser le Soudan, ce géant hostile aux portes de la mer Rouge et du Sinaï.
Dans sa seconde tentative de putsch, Idi Amin a non seulement l’appui du Royaume-Uni et d’Israël, mais aussi un soutien populaire : d’un côté, les hommes d’affaires étrangers et la bourgeoisie locale des commerçants indo-pakistanais et britanniques le voient comme une échappatoire au socialisme ; de l’autre, les partisans de Mutesa le perçoivent comme la possibilité d’une revanche sur l’UPC ; enfin, les Ougandais souffrent d’un état d’urgence sans fin. Jouant sur ces aspirations, Idi Amin réussit son coup d’État militaire. Cette popularité ne sera pourtant que de courte durée.
Illégitime, le militaire Amin va nourrir la crainte d’un retour de l’UPC, qui, depuis la Tanzanie, prépare une rébellion (1971-1978), mais ne constituera une véritable menace qu’en 1979, lorsque, à la tête d’un pays exsangue, le satrape ougandais, incapable de payer ses troupes, autorisera ces dernières à envahir son voisin pour le piller.
Depuis, entres autres, sa brouille avec Israël, Amin Dada n’a plus vraiment d’alliés, si ce n’est le colonel Kadhafi, qui commence à se rêver en futur Ubu roi du continent africain. En 1972, ce dernier suggérait au président ougandais d’expulser quelque 49 000 Indo-Pakistanais comme lui avait chassé les Italiens deux ans plus tôt…
Dès lors, Amin lance « la guerre économique », entendons l’épuration de la société sous le couvert d’une africanisation de l’économie. Paria de la « communauté internationale », Idi Amin ne peut compter à partir de 1975 que sur l’appui de ses mercenaires nubiens, libyens et britanniques, à l’image de Bob Astles, « l’âme damnée du maréchal », ex-petit entrepreneur qui servit Obote comme son successeur. 
La chute de ce monstre issu de l’ordre colonial n’est qu’une question de temps, et les grandes puissances ne s’opposeront pas au coup de force de la Tanzanie de Nyerere.
Débarrassé d’Amin Dada puis d’Obote en 1985, l’Ouganda n’en a pas pour autant fini avec son histoire furieuse. Dans le maquis, un ex-membre des services secrets, Yoweri Museveni, prépare sa guérilla, entouré d’exilés tutsi ayant fui les persécutions au Rwanda. Parmi eux : Paul Kagame, l’actuel dictateur rwandais. Mais c’est une autre histoire.

(1) Un bilan qu’égalera, voire dépassera, pourtant son grand rival Milton Obote, de retour au pouvoir entre le 17 décembre 1980 et le 27 juillet 1985.
Benoît Hazard, rédacteur en chef des « Cahiers d’études africaines », et Marc de Miramon

Source L'Humanite
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