jeudi 18 avril 2019

Laminée, la gauche israélienne en pleine introspection


Les partis historiques de la gauche sioniste ont obtenu leur plus mauvais score lors des législatives, remportées une nouvelle fois par Nétanyahu. L’heure est à une douloureuse remise en question........Analyse........



On prend les mêmes, en plus extrême, et on recommence. Mercredi soir, Benyamin Nétanyahou devait se voir confier par le Président, Reuven Rivlin, la responsabilité de former le prochain gouvernement. 
Sans surprise, les partis religieux et de la droite nationaliste l’ont soutenu, lui conférant un cinquième mandat record.
L’opposition vogue entre gueule de bois et introspection. Comme Tzipi Livni dix ans plus tôt, le général Benny Gantz, à la tête de l’alliance centro-militariste Bleu et Blanc, a dû ravaler son speech triomphal lâché au soir du vote quand les premières estimations permettaient de douter. Depuis, le galonné à l’idéologie floue a disparu des radars.
Mais c’est pour l’illustre gauche israélienne que le coup est le plus rude. Au terme d’une campagne aussi catastrophique qu’annoncée depuis la nomination du maladroit Avi Gabbay à sa tête, le Parti travailliste («Havoda», en hébreu) n’arrache que 6 sièges sur 120 à la Knesset. 
Déroute historique. La formation des pères et mères fondateurs (David Ben Gourion, Golda Meir, Yitzhak Rabin), matrice de la plupart des institutions du pays, de l’armée aux clubs de foot, n’a jamais été si bas. 
Pas loin des quatre sièges (le minimum possible) du Meretz, formation du «camp de la paix» réduite à une boutique de niche depuis plusieurs années, qui se sauve de justesse grâce à une poignée d’électeurs arabes, attirés par la mixité de sa liste.
Reste la maigre consolation de l’échec spectaculaire du duo Ayelet Shaked et Naftali Bennett (ministres de la Justice et de l’Education dans le précédent gouvernement), qui ont fait campagne en raillant les «colombes». 
Le pari des ultranationalistes de lancer un parti libéré de l’influence des rabbins extrémistes a tourné au hara-kiri : leur «Nouvelle droite» a été recalée à quelques milliers de voix du seuil d’éligibilité.
La cheffe de file du Meretz, Tamar Zandberg, milite pour une fusion avec les travaillistes, condition d’une future survie. 

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Et tend la main au parti arabo-juif et postsioniste Hadash, descendant du Parti communiste. Leurs dirigeants ont pour le moment adressé une fin de non-recevoir. 
Les travaillistes, eux, continuent de voir dans le Meretz, à l’instar de Benny Gantz, une bande de «naïfs» presque folkloriques.

Enlisement

L’union compromise, doit-on, comme l’a fait une partie de la presse, graver l’épitaphe de la gauche sioniste ? 
Elle a déjà perdu la partie économique dans les années 80, quand cet Etat aux racines socialistes se convertit au néolibéralisme reaganien, transition accélérée ensuite par Nétanyahou.  
«Cette gauche-là n’a même pas eu droit aux funérailles», note Daniel Ben Simon, éditorialiste et ex-député travailliste.
L’autre grand marqueur de la gauche israélienne, avec la défense des laïques face aux religieux, a longtemps été la recherche d’une solution négociée au conflit avec les Palestiniens, portée par Rabin puis Ehud Barak, victorieux face à Nétanyahou en 1999. 
Or, de ce fameux «processus de paix» à l’état végétatif, il n’a quasiment pas été question dans cette campagne, chez les travaillistes comme chez Gantz.
L’enlisement des accords d’Oslo a transformé le mot «gauche» en anathème, synonyme d’échec voire de danger. 
«Alors qu’à droite, l’annexion de la Cisjordanie est devenue une opinion mainstream», souligne la sondeuse Dahlia Scheindlin. Et les jeunes Israéliens se définissent toujours plus à droite, «selon une vision plus ouvertement raciste que par le passé», ajoute-t-elle.
«Concrètement, 20 % de la population israélienne se considère encore de gauche, dont 14 % de Juifs, nuance Scheindlin. Un nombre équivalent, aux valeurs similaires, se dit "centriste". 
Ce nombre n’a pas bougé depuis le milieu des années 2000 [après l’échec des négociations entre Barak et Arafat et la seconde Intifada, ndlr].» 
Cet électorat se répartit selon les scrutins entre le parti centriste le plus compétitif selon une logique de «vote utile» (Bleu et Blanc cette année), les travaillistes et le Meretz.
«Le changement n’est pas tant dans la base que dans les partis, de plus en plus frileux à se revendiquer de gauche, ajoute la stratégiste. Gantz voulait être une feuille blanche où chacun pouvait projeter ses convictions. 
Mais faire semblant d’être à droite, comme Avi Gabbay, pour arracher des voix de droite, ça ne marche jamais…»

Etiquettes

Pour Einat Wilf, ex-conseillère de Shimon Pérès et un temps députée travailliste incarnant l’aile centriste et sécuritaire, ce sont les étiquettes qui ont valsé. «Bleu et Blanc sont les nouveaux travaillistes. 
Havoda est devenu le Meretz et le Meretz se mue en Hadash… Tout ça fait quand même 45 sièges. 
Ce n’est pas rien. Il faut aussi rappeler que hormis Barak, personne n’a jamais gagné une élection sur la "solution à deux Etats". 
Pas même Rabin, qui, on l’a oublié, était très proche de la position actuelle de Nétanyahou [pas d’Etat souverain pour les Palestiniens mais une autonomie encadrée, ndlr]». 
Pour Wilf, le «rejectionisme palestinien» et le «massacre nommé Seconde Intifada» ont rendu la décennie de statu quo de Nétanyahou plus désirable que la paix.
A l’inverse, Ben Simon reconsidère toute l’histoire. «Des poètes ou activistes vraiment de gauche, qui voulaient la fin de l’occupation, il y en a eu. Des politiques ? Non. 
En 1967, après la guerre des Six Jours, ce sont les travaillistes qui envoient les premiers tractopelles en Judée Samarie et dans le Golan. 
Rabin n’a jamais cédé un pouce de territoire. Cette gauche de gouvernement, qui cherche la paix et pas juste un "processus", je crois qu’elle n’est jamais vraiment née.»
Pour Dahlia Scheindlin, «la gauche ne peut tomber plus bas, mais ne disparaîtra pas. 
Le vrai souci, c’est la transformation de la droite classique en front ethno-populiste, comme dans le reste du monde. 
A cela, il y aura toujours une opposition, basée sur la défense de la démocratie libérale. La question est de savoir ce qu’elle pourra et voudra faire». 

Guillaume Gendron Correspondant à Tel-Aviv

Source Liberation

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