mercredi 13 février 2019

Théories du complot : "Il y a un phénomène de contagion"


Le conspirationnisme est-il un phénomène récent ? Pourquoi certains y sont-ils plus sensibles que d’autres ? Est-ce inquiétant ?.......Faisons le point.......



"Le ministère de la Santé serait-il de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins" ? Et si le décès de Lady Diana était en fait "un assassinat maquillé" ? Existe-t-il "un complot sioniste à l’échelle mondiale" ?
Si les deux tiers des Français sont relativement hermétiques aux théories du complot comme celles-ci, en revanche, 21% en croient au moins cinq, selon une enquête Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l’observatoire Conspiracy Watch. Des chiffres relativement stables par rapport à l’année dernière mais "préoccupants", selon Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. Lui et Mathias Girel, maître de conférences au département de philosophie à l’Ecole normale supérieure, ont répondu à nos questions sur le sujet.

Le complotisme est-il un phénomène récent ?

"Le complotisme est un phénomène ancien, souligne Rudy Reichstadt. Traditionnellement on le date de la révolution française. 
Après celle-ci, certains ont commencé à expliquer qu’elle était en réalité orchestrée par une société secrète, les Illuminés de Bavière, ou encore les arrières-loges de la franc-maçonnerie. À la même époque, on trouve aussi l’idée d’un complot jésuite mondial. 
Mais on retrouve également des accusations de complot au moment de la grande chasse aux sorcières en Europe, entre le XVe et le XVIIIe siècle. Plus loin encore, on trouve des accusations de complot visant les lépreux et les juifs dès le XIIe-XIIIe siècle. 
On accusait alors les juifs d’empoisonner les puits, de répandre la peste et d’avoir un projet de domination du monde. Cet imaginaire est donc antérieur à la sécularisation des sociétés européennes.
Mais Internet a redistribué les cartes, rendant les théories conspirationnistes beaucoup moins confidentielles qu’elles ne l’étaient, faisant ainsi plus d’adeptes, plus de croyants."

Qui sont les Français qui adhèrent le plus aux thèses complotistes ?

"Les moins de 35 ans, les moins diplômés et les catégories sociales les plus défavorisées demeurent les plus perméables aux théories du complot", décrypte la Fondation Jean-Jaurès. 
Et les Français qui se définissent comme gilets jaunes (18% au moment de l’enquête) sont aussi plus sensibles que la moyenne aux théories du complot. 
Mais "si ces gens ont des croyances qui détonnent par rapport au reste de la population et un taux d’adhésion supérieur aux théories du complot, ce n’est peut-être non plus un phénomène massif qui déferle sur la société, tempère Mathias Girel. 
Si l’on regarde les chiffres, les gens qui soutiennent les gilets jaunes sans se définir comme tels, ont pour leur part des niveaux d’adhésion très proches de l’ensemble des Français. Le fait de soutenir la mobilisation ou de partager une inquiétude sociale n’implique donc pas pour autant de verser dans le complotisme."

Pourquoi y sont-ils plus sensibles ?

"Les personnes se définissant comme gilets aunes se caractérisent par un recours massif aux réseaux sociaux et aux sites de vidéo en ligne pour chercher de l’information, explique Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop. 
Cette distance aux médias traditionnels et l’extrême dépendance à Facebook constituent le terreau grâce auquel les thèses complotistes prospèrent et circulent de manière particulièrement fluide".
Il en va de même pour les 18–24 ans, qui, "pour la plupart n’étaient pas nés quand Lady Di est morte en 1997 à Paris et encore moins lors de l’assassinat de JFK", ajoute Mathias Girel. Et ceux qui ont 18 ans aujourd’hui sont nés au moment des attentats du 11 Septembre. 
Ils n’ont pas vu ces informations traitées par les journaux et en ont eu vent par des récits secondaires, sur les réseaux sociaux ou précisément à travers des récits complotistes sur internet. Or le fait d’avoir été exposé à une théorie du complot augmente les chances de la croire ou de déclarer la croire. Les théories du complot ne sont pas de l’information brute, même fausse, ce sont d’abord des récits. 
Il peut y avoir un plaisir à les raconter ou les écouter. Cela joue un rôle important dans la propagation. Il y a un phénomène de contagion, comme pour les croyances, selon certains philosophes."

43% des sondés croient à un "complot vaccinal". Cela semble élevé.

"La capacité de cette théorie à remporter l’adhésion est inquiétante, estime Rudy Reichstadt. Mais cette thèse est assez différente des autres. Non seulement elle touche à l’intime puisqu’il s’agit de s’injecter ou injecter dans le corps de ses enfants une substance. 
Mais elle touche également des gens qui ne sont habituellement pas concernés par le complotisme puisque la vaccination est l’affaire de tous. Cela peut expliquer ce score si élevé". 
Pour Mathias Girel, "plusieurs raisons se greffent les unes aux autres pour expliquer cette adhésion à un complot vaccinal, adhésion qui est en soi préoccupante, il semble impensable qu’autant de personnes rejettent le principe même du vaccin. 
Il y a peut-être une défiance envers certains laboratoires et des pratiques commerciales ayant consisté dans le passé à ne vendre certains vaccins obligatoires que couplés à plusieurs autres qui ne l’étaient pas. Il y a aussi sûrement des confusions autour des risques d’effets secondaires, accentuées par certaines vidéos trompeuses qui circulent massivement sur internet. Sans parler de la loi, qui impose désormais 11 vaccins. 
Tout cela peut provoquer une défiance qui n’a que peu à voir avec la question objective de la dangerosité du vaccin lui-même. Dans ce cas, il y a peut-être un travail à faire sur la communication, y compris sur les risques, très faibles, mais qui existent. 
Mais je pense qu’il va être intéressant de revoir la même vague de questions dans un an. Car je me demande si certaines réponses ne reflètent pas un trouble actuel plus vaste." 

Le contexte de défiance pourrait donc jouer ?

"Il n’explique pas tout puisqu’il y a une forme de stabilité par rapport aux chiffres de l’année dernière, mais cela joue forcément, selon Mathias Girel. Il est très important de rapporter les croyances complotistes à un contexte. Il y a des contextes dans lesquels il est délirant de ne pas croire aux institutions ou aux médias traditionnels. 
Mais il y a des contextes dans lesquels cela l’est nettement moins : un pays en guerre ou dans lequel il n’y a pas une vraie liberté ou diversité de la presse, par exemple. Nous ne sommes pas dans ce dernier cas, mais nous ne sommes pas non plus dans des conditions de parfait accès à l’information, dans son objectivité et sa diversité.
Mais dans le cas présent, pour évaluer l’impact du climat de défiance, je serais par exemple curieux de voir l’opinion des gens sondés sur l’affaire Benalla ou d’autres questions de communication politique. Et il aurait aussi été intéressant de voir s’il y avait des théories complotistes visant la presse. 
Car on ne peut pas évaluer la défiance d’individus pour des récits, sans évaluer leur méfiance, leur défiance, ou au moins leur prudence, vis-à-vis d’institutions publiques ou de presse. 
Quant à certaines théories, comme celle sur les chemtrails, j’aimerais bien savoir quelles sont les croyances, dans d’autres domaines, des gens qui y adhèrent. J’aurais en outre bien aimé voir s’il y avait une corrélation, ou non, entre certaines théories et des croyances religieuses, pas seulement le spiritisme." 

Dans l’ensemble, ces chiffres sont-ils inquiétants ?

"Lorsqu’on adhère à une seule théorie du complot, voire deux ou trois, on n’est pas vraiment dans une forme de complotisme avec une vision du monde très éloignée de la réalité, tempère Rudy Reichstadt. Mais à partir de cinq, on franchit un cap. Or 21% des sondés croient cinq thèses complotistes ou plus. C’est préoccupant." 
"Il faut surtout espérer que ces chiffres n’aient pas tous des effets réels, qu’ils n’entraînent pas par exemple une réduction de la couverture vaccinale, estime pour sa part Mathias Girel. 
Mais certains sont inquiétants, notamment ceux concernant l’idée d’un complot sioniste (22%). Même s’il ne faut pas confondre antisionisme et antisémitisme, il y a une certaine porosité entre les deux. C’est quelque chose à surveiller, d’autant plus dans un contexte de hausse des actes antisémites en 2018 (et ce week-end). Même chose pour la thèse du grand remplacement, qui remporte 25% d’adhésion. 
C’est aussi à surveiller. Mais il ne suffit pas de dire : "il y a une mentalité complotiste qui est en train de monter". Il faut comprendre pourquoi, voir à la fois que ce n’est pas seulement une cause isolée, mais aussi un effet de facteurs plus vastes, comprendre aussi ce que le complotisme supposé des autres semble menacer. Et là, la question reste ouverte."

Source Sud Ouest
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