jeudi 14 février 2019

Le journal de Giani Stuparich, témoignage sans lyrisme sur le quotidien de la Grande Guerre.....


Fait de premières fois et du bruit de la guerre, le journal du Triestin retrace le parcours d’un soldat qui fuit l’armée autrichienne pour rejoindre les troupes italiennes. De l’autre côté du front, par-delà les chevaux de frise, les tranchées, la pluie d’obus, se tient Trieste, sa ville, alors incluse dans l’Empire austro-hongrois mais plus pour longtemps........Détails........



Parfois, au gré des mouvements de troupe, le grenadier Giani Stuparich, 24 ans, qui a fui l’armée de François-Joseph pour rejoindre celle de l’Italie, voit sa cité natale au loin. Et son cœur, plein de patriotisme, bat très fort. Là-bas, sont sa mère et sa sœur. 
Mais le futur romancier n’est pas seul : à ses côtés, se tient son frère de 19 ans, volontaire comme lui, présence précieuse qui le tire toujours du côté de la vie, quand l’attrait de la mort survient. 
Carlo est un jeune homme épris de littérature comme son aîné, lequel a déjà fait ses armes dans ce domaine : il écrit pour une revue italienne réputée, la Voce, dont des exemplaires arrivent parfois jusqu’au front.
Du 2 juin au 8 août 1915, Giani Stuparich a tenu un journal : des notes jetées vite fait sur un petit carnet, et qu’en 1930 il remettra en forme et publiera. 
Un témoignage sans lyrisme sur le quotidien de la guerre, d’une écriture dense et simple, à travers laquelle se succèdent tableaux d’horreur et moments de répit presque heureux : des retrouvailles avec le frère, un bain dans le fleuve, un dîner chez une mère de famille restée en zone de conflit, le rappel d’une randonnée autrefois dans un lieu rendu méconnaissable par les combats.
Relève des tranchées, marches en pleine nuit, assauts, missions commando de destruction des barbelés adverses… 
L’atmosphère est pleine de désordre apparent, de rumeurs, de mouvements qui semblent contradictoires. 
Et l’ouïe devient un sens hypertrophié, car l’obscurité est une composante majeure du théâtre guerrier. «Hourraaa !», entend hurler le grenadier Stuparich, et il en déduit que le camp d’en face a lancé l’assaut sur un côté du front. 
Puis il perçoit un autre cri : «Savoie !», «les nôtres» répliquent, en conclut-il. Tandis qu’il détaille les différents bruits des éléments d’artillerie : sifflements, martellements, secousses.
Et que la mort frappe ou s’évite pour peu que l’on soit à vingt centimètres de là où on aurait pu être.
Pourquoi avoir attendu quinze ans pour reprendre ce journal ? 
Parce que sur ces deux mois de guerre en tant que simple soldat, marqués par les premières fois - la première montée au front, «la première sensation de l’ennemi peut-être tout près», les premiers morts, la première blessure -, flotte une grande douleur. 
Carlo, en qui Giani voit toujours ce qui lui reste d’enfance, ne reviendra pas de la guerre. 
Devenu comme son frère officier, encerclé par l’armée austro-hongroise, il préférera se suicider, plutôt que d’être pendu en tant que déserteur. Fait prisonnier, Giani, lui, parviendra à cacher son identité et sera ainsi sauvé.
Il revient au cours d’un autre livre, Trieste dans mes souvenirs (Bourgois, 1999), sur ses écrits de 1915. 
«Pendant les soixante-dix jours de tranchée et de combats sur le front de Monfalcone, j’avais écrit un journal : des notes squelettiques et parfois presque pénibles que j’inscrivais avec la pointe d’un crayon sur un petit bloc quadrillé […]. Alors j’inscrivais vite les sensations éprouvées, le nom des camarades blessés ou morts, les mots échangés avec Carlo. 
Après deux mois ce carnet était tout sale de terre rouge du Carso [haut plateau près de Trieste, ndlr], bosselé par les pointes des pierres, avec une tache de rouille qui avait pénétré à travers les pages : le sang coulé dans ma poche quand j’avais été blessé à l’épaule.»
Giani Stuparich, mort en 1961, est ce qu’on appelle «un écrivain de frontière». Sa mère appartenait à la communauté juive de Trieste, comme Italo Svevo, et Stuparich sera interné en tant que juif par les SS en 1944. 
Sa famille paternelle était d’origine slave et autrichienne. 
Dans la préface à l’Île (Verdier, 2006), un très beau récit autobiographique où le père malade et le fils se retrouvent à Lussinpiccolo, au large de l’Istrie, l’italianiste Gilbert Bosetti met en avant «la langue dépouillée de ce plurilinguisme qui caractérisait les écrivains austro-triestins».

Source Liberation
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