mercredi 14 novembre 2018

À quelques mètres de Gaza, le quotidien heurté des Israéliens


La grille jaune s'ouvre enfin. Derrière la clôture barbelée, un cèdre du Liban accueille le visiteur. Il signale l'entrée de Netiv Ha'asra (le chemin du temple). Ce village israélien d'un millier d'habitants est un havre de paix........Détails........

Au milieu des palmiers, de nombreuses balançoires et toboggans multicolores ont été construits sur le sable. Le chahut des enfants résonne bientôt derrière les grilles de l'école située à quelques mètres de là. Ses fenêtres blanches sont recouvertes d'un épais blindage à l'abri des roquettes. L'enclave de Gaza n'est qu'à 500 mètres. 
Et à chaque regain de tension entre le Hamas et Israël, Netiv Ha'asra se retrouve plongé sous une pluie de roquettes.
« Lorsque vous venez ici, vous avez l'impression d'entrer au paradis », souligne Yoël, un des porte-voix du village israélien. « Mais tout ceci est faux. C'est notre seule manière de survivre. 
Si on pense aux menaces des roquettes et aux tunnels (du Hamas, NDLR), alors on ne vit plus. » Dans le ciel retentit soudain le bourdonnement de deux drones israéliens chargés de surveiller la frontière. Sur le toit de l'école, des sirènes sont prêtes à retentir. 
Depuis le 30 mars dernier, la frontière entre Gaza et Israël est le théâtre, chaque vendredi, d'importantes manifestations au nom de la « Marche du retour ».

Cerfs-volants incendiaires

De l'autre côté de l'imposant mur de béton qui sépare les deux territoires, derrière la clôture de sécurité, des milliers de manifestants tentent de franchir la frontière pour revenir sur la terre de leurs ancêtres. 
Par cette nouvelle forme de résistance, les Gazaouis entendent également dénoncer le double blocus économique israélo-égyptien qui étouffe l'enclave de deux millions d'habitants. 
« Ce mouvement a été initié par la société civile avant d'être récupéré par le Hamas (qui dirige Gaza depuis un coup d'État en juin 2007, NDLR) », confie une source diplomatique.
Tout d'abord pacifiques, les manifestants ont, au fil des semaines, commencé à lancer des cerfs-volants incendiaires en direction des villages israéliens avoisinants. « Au cours des deux derniers mois, plus d'un millier de ces ballons nous ont atteints et provoqué des incendies », s'insurge Yoël, crâne rasé et physique imposant. 
« Or, le monde ne fait que condamner les tirs d'Israël, et demande après qu'on lève le blocus ! » Depuis le début des manifestations, au moins 218 Palestiniens, dont des mineurs, ont été tués par des snipers israéliens. Du côté d'Israël, un soldat est mort.

« Mes enfants ne dorment plus »

Alors qu'une trêve permanente était dernièrement en négociations entre Israël et le Hamas, par l'intermédiaire de l'Égypte et de l'ONU, une incursion de l'armée israélienne à Gaza a remis, dimanche, le feu aux poudres. Et les tirs de roquettes palestiniennes ont repris en direction de l'État hébreu. 
À chaque menace, les habitants de Netiv Ha'asra n'ont que dix secondes pour s'abriter. 
« Mes enfants ne dorment plus », s'emporte Yoël, père de quatre enfants. « Ils sont traumatisés, comme 90 % des habitants de notre village qui souffrent de stress post-traumatique. Combien de temps peux-tu supporter cela ? »
Yoël est arrivé à Netiv Ha'asra en 1982, en provenance du Sinaï égyptien où il habitait avec ses parents. 
Après les accords de paix de 1979 entre Israël et l'Égypte, l'État hébreu a accepté de restituer ce territoire majoritairement désertique, dont il s'était emparé lors de la guerre des Six Jours, en 1967. Yoël, à l'époque âgé de trente ans, et sa famille se voient octroyé un lopin de terre à Netiv Ha'asra, près de la bande de Gaza. 
« Je détestais les Égyptiens, car ils m'avaient obligé à quitter ma propre maison », se rappelle l'Israélien, aujourd'hui âgé de la cinquantaine. « Or, j'ai réalisé par la suite qu'on avait réussi à faire la paix avec eux. Et trente ans plus tard, cela fonctionne. 
La plupart des habitants de Netiv Ha'asra pensent aujourd'hui qu'il est bon de donner des territoires en échange de la paix, à condition qu'il y ait un partenaire de l'autre côté. »

« Nos voisins palestiniens étaient nos amis »

Au départ, la cohabitation entre Israéliens et Palestiniens a le don d'exister. « Nos voisins palestiniens étaient nos amis », se souvient-il. « Tous les travailleurs des champs étaient palestiniens. Nous mangions ensemble et leur rendions visite à Gaza. ».
Mais avec les deux intifadas (1987-1993 et 2000-2006), « la situation n'a fait qu'empirer depuis », confie Yoël, ancien membre des services de sécurité du Premier ministre israélien. 
« Et à partir de la seconde intifada, nous avons commencé à recevoir des roquettes, qui ont tué une de nos habitantes. »
En 2005, l'ancien Premier ministre israélien Ariel Sharon décide, à la surprise générale, de se retirer unilatéralement de Gaza. L'armée plie bagage. Toutes les colonies israéliennes sont démantelées. 
Or, l'année suivante, c'est le Hamas, mouvement islamiste s'inspirant des Frères musulmans et qui appelle à la destruction d'Israël (il a revendiqué de nombreux attentats en Israël au cours de la seconde intifada), qui remporte les élections législatives palestiniennes en Judée Samarie et à Gaza. 
Embarrassée, la communauté internationale ne reconnaît pas le scrutin. L'année suivante, le mouvement islamiste s'empare de Gaza par la force, au détriment de l'Autorité palestinienne (laïque et dominée par le Fatah de Mahmoud Abbas).

« Le Hamas veut la totalité d'Israël »

Dès lors, Israël, qui considère le mouvement islamiste comme terroriste au même titre que les États-Unis et l'Union européenne, soumet l'enclave palestinienne à un sévère blocus économique terrestre, aérien et militaire. Trois guerres dévastatrices (2008-2009, 2012 et 2014) opposeront l'État hébreu au Hamas. 
L'opération « Plomb durci » en 2008-2009 a fait 1 440 morts côté palestinien et 13 côté israélien. En 2012, lors de l'opération « Pilier de défense », 174 Palestiniens ont été tués et 6 Israéliens. 
Enfin, « Bordure protectrice » en 2014 s'est soldée par la mort de 2 251 Palestiniens et 74 Israéliens. D'après l'ONU, Gaza est aujourd'hui « au bord de l'implosion ». 
Un Gazaoui sur deux vit sous le seuil de pauvreté, le chômage affecte 53 % de la population, dont 70 % des jeunes, et 80 % de la population dépend d'une aide (Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a toutefois accepté coup sur coup le versement par le Qatar, soutien du Hamas, de 60 millions de dollars pour faire fonctionner la seule centrale électrique de Gaza, puis de 15 millions de dollars, afin de payer, au moins partiellement, les fonctionnaires palestiniens appartenant au Hamas, NDLR).
À l'évocation de ces chiffres alarmants, le résident de Netiv Ha'asra dit comprendre la détresse des habitants de Gaza. Il évoque même sincèrement la volonté, s'il le pouvait, d'accueillir chez lui des familles gazaouies. Mais il reprend ensuite mot pour mot la rhétorique du gouvernement israélien jugeant le Hamas intégralement responsable de la situation à Gaza. 
« Ce n'est pas un secret, le Hamas tente de faire vivre un calvaire à Gaza, car cela les renforce », estime Yoël. 
« Il utilise sa propre population contre nous, y compris femmes et enfants », insiste-t-il. 
L'homme a apporté des débris de roquettes tirées depuis Gaza. « Le souci est que le Hamas veut quelque chose qu'on ne peut lui donner : la totalité de l'État d'Israël. »

Gaza emmurée

Pour protéger ses villages limitrophes de Gaza, l'État d'Israël a emmuré Gaza. Dès 2005, il a construit un mur de 5 mètres pour empêcher toute incursion en territoire israélien. 
En 2010, Israël a déployé le « Dôme de fer », un système de défense aérienne mobile qui s'est avéré relativement efficace pour intercepter les roquettes palestiniennes tirées depuis l'enclave. 
Enfin, en 2019, Tel-Aviv achèvera la construction d'un mur souterrain de 40 mètres empêchant aux combattants du Hamas de pénétrer en Israël à l'aide de tunnels souterrains, comme ils l'ont déjà fait par le passé.
« Tous les soirs, avant de me coucher, je me dis que cinquante personnes peuvent débarquer dans le village depuis les tunnels », confie Yoël, qui rappelle qu'une roquette s'est abattue près de sa maison il y a cinq ans. 
« Je ne me sens même pas en sécurité chez moi. Mon fils aîné, qui a vingt ans, est resté toute son adolescence à la maison. 
Même aujourd'hui, il ne ferme pas la porte quand il va à la salle de bains. Il regarde toujours par la fenêtre. » Et le père de famille d'avouer : « Tous les jours, je pense à partir d'ici. » 
Pourtant, l'homme n'a jamais franchi le pas. Et ne le fera sans doute jamais.

Réduction d'impôts

« En tant qu'Israélien, j'ai beaucoup de racines dans ce village, car j'ai participé à sa construction, après avoir donné ma maison pour la paix (en Égypte, NDLR) », rappelle-t-il. 
« Mes parents vivent près de moi, ma sœur aussi. Si je dois quitter ce lieu, alors je quitterai Israël. » Yoël avouera également que le prix de l'immobilier est aussi un atout de choix à Netiv Ha'asra. 
Sa maison cossue de 500 mètres carrés lui a coûté 2 millions de shekels (481 000 euros), alors qu'un deux-pièces à Tel-Aviv vaut 2,5 millions de shekels (601 000 euros). L'habitant bénéficie également de 20 % de réduction sur ses impôts. « Ce n'est pas assez pour moi », souligne-t-il pourtant. « Car chacun d'entre nous ici vit avec des cicatrices sous la peau. »
Le chant des oiseaux résonne dans les allées verdoyantes de Netiv Ha'asra. Le solide quinquagénaire se promène maintenant dans son coquet petit village. Au loin, derrière le mur à un demi-kilomètre de là, on aperçoit le village gazaoui de Beit Hanoun. Derrière ses petites maisons cubiques surgit une tourelle blanche. « Elle appartient au Hamas. Ils nous observent », annonce Yoël.
L'homme soupire : « Lors du retrait de Gaza, le président israélien Shimon Perez avait dit que c'était une opportunité pour transformer ce territoire, avec ses belles plages, en Singapour. 
Or, l'Autorité palestinienne n'a pas su gérer la situation et le Hamas s'est emparé du pouvoir, et voilà où nous en sommes aujourd'hui. »

« Chemin vers la paix »

Par cette explication sommaire, l'Israélien justifie le refus de son pays de mettre fin à la colonisation à l'est d'Israël, en Judée Samarie.
« Il n'y aura pas d'État palestinien en Judée Samarie en raison de ce qui se passe à Gaza », insiste-t-il. 
« Tout ceci est le résultat des accords d'Oslo (signés en 1993, ils ont mis sur pied l'Autorité palestinienne et devaient aboutir, sous cinq ans, à la création d'un État de Palestine, NDLR). »
L'Israélien s'approche maintenant du « mur de sécurité » séparant Gaza d'Israël. Une artiste israélienne de Netiv Ha'asra a peint cette partie de la structure en bleu et blanc, et y a dessiné une colombe, accompagnée des mots « chemin vers la paix ». 
Derrière le mur, des barbelés, un mirador de Tsahal, puis la partie israélienne de la clôture de sécurité. À quelques centaines de mètres de là, le passage d'Erez, seul point d'entrée et de sortie de Gaza pour les personnes. Avant la seconde intifada, 160 000 personnes l'empruntaient chaque jour. Ils sont moins de 200 aujourd'hui.

« Il n'y aura pas de paix avec les Arabes »

À 70 ans, Eisheh, qui habite une des premières maisons construites après le mur, estime qu'il n'y aura "jamais de paix avec les Arabes". 
Un vieil homme longe le mur à bord de son véhicule électrique, arborant une demi-douzaine de drapeaux. 
Il s'agit des insignes des différentes brigades de Tsahal opérant autour de Gaza. Eisheh a 70 ans. Sa maison est l'une des premières construites à Netiv Ha'asra après le mur. « Il n'y aura pas de paix avec les Arabes », annonce-t-il d'emblée. « Parce qu'ils veulent nous annihiler. »

Source Le Point
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