mardi 13 mars 2018

Face aux totalitarismes, la résistance au féminin


En participant à un ouvrage récent sur la lutte des femmes contre le totalitarisme, Biljana Vučetić met en lumière le rôle joué par plusieurs femmes engagées du XXe siècle. Un récit poignant et documenté, qui permet de revisiter une page parfois méconnue de l'histoire yougoslave.......Détails.......


Biljana Vučetić est une historienne serbe, spécialiste de l'histoire des Balkans. Elle a récemment contribué à un ouvrage dirigé par Marc Crapez,  Elles l'ont combattu.
Femmes contre le totalitarisme au XXe siècle(éd. du Cerf, février 2018) qui retrace le parcours de nombreuses femmes engagées dans la lutte contre les États totalitaires.
Biljana Vučetić a rédigé la biographie de plusieurs d'entre elles. Ses réponses sont traduites de l'anglais par Marc Crapez.

Quels sont les critères qui vous ont permis de sélectionner les femmes dont vous faites le portrait dans ce livre ? Une bonne part d'entre elles sont pratiquement inconnues, était-ce un objectif affiché de mettre en lumière de nouvelles figures ?

C'est vrai, la plupart des femmes sur lesquelles j'ai écrit dans le livre ne sont pas connues (exception faite de Rose Wilder Lane) par le grand public en Europe et notamment en France. Franchement, le choix était difficile, tant il y eut de femmes de cette région qui ont consacré leurs vies à combattre le totalitarisme sous toutes ses formes.
La plupart des auteurs féministes, des intellectuelles et des femmes serbes écrivains de la littérature de l'entre-deux-guerres furent oubliées parce qu'après la Seconde Guerre mondiale le régime communiste yougoslave les a stigmatisées comme théoriciennes bourgeoises, monarchistes ou même «ennemies du peuple».
Un des critères était l'importance et l'aura du travail et de la vie d'une héroïne, parce que j'avais en vue d'étudier des femmes dont les activités ne sont pas limitées seulement à la Serbie, mais concernent les Balkans, au-delà l'Europe centrale et même le Moyen-Orient (Israël).
Un autre critère était que toutes ces femmes ont laissé des notes, des journaux ou des mémoires.
Ces témoignages de première main m'ont permis une forme de contact direct avec mes héroïnes et, partant, une meilleure compréhension de leur vision des choses.

Quelle était la place des femmes à l'époque de la Seconde Guerre mondiale en Yougoslavie ?
 
Le manque de participation féminine dans la vie politique et économique du Royaume de Yougoslavie avant la Seconde Guerre mondiale pourrait être expliqué par le fait que le droit politique élémentaire - le droit de vote - était inaccessible aux femmes.
Leur condition était confortée par le système éducatif, mais leur participation à la vie politique et publique a rencontré beaucoup d'obstacles. Le principal philosophe féminin, penseur et féministe Serbe, Ksenija Atanasijević, première femme qui a obtenu un doctorat en philosophie (1922) puis a été nommée professeur d'université, a ensuite été radiée, victime de la jalousie de cliques masculines.
En 1945, le nouveau régime a proclamé l'égalité théorique des femmes, mais leur pouvoir réel fut rogné. Il était très difficile de changer la condition féminine dans la société patriarcale.

L'historiographie a-t-elle trop longtemps occulté l'action et l'engagement des femmes au XXe siècle ?


Je ne peux pas complètement en convenir. La Yougoslavie communiste n'a certes jamais fondé un centre d'archives ou un musée consacré à l'histoire des femmes, mais après les guerres des années 1990 se dessine une nouvelle impulsion en faveur de l'étude de la cause des femmes.
Un certain nombre d'historiens, anthroplogistes, sociologues et autres érudits, en Slovénie, Croatie, Monténégro, Bosnie ou Serbie traitent actuellement la thématique de la différence sexuelle dans l'univers du communisme yougoslave.

Parmi les femmes dont vous livrez la biographie, il y a de nombreuses écrivaines ou journalistes: Julka Hlapec-Đorđević, Rose Wilder Lane ou Ženi Lebl par exemple. Dans quelle mesure leurs publications ont contribué à lutter contre les dictatures ?

Rose Wilder Lane (1886-1968) était une journaliste, romancière et théoricienne politique américaine. Après quatre années passées à voyager à travers l'Europe, pour le compte de la Croix-Rouge, elle commença à étudier les fondements des idées sociales et politiques et devint l'un des principaux auteurs américains des années 1920-1930.

Votre avocate en Israël... 

Et l'une des fondatrices du mouvement libertarien. Ženi Lebl (1927-2009), historienne, écrivain et traductrice, née dans une famille juive, a connu tant les prisons de la Gestapo que celles de Tito, et notamment l'infâme Goulag yougoslave appelé l'île nue, tant le paysage de cette carrière de pierres était désolé. Publié en 1990, son témoignage a fait surgir bien des fantômes en rompant plusieurs décennies d'Omerta.
Julka Hlapec-Đorđević (1882-1969), historienne, écrivain et féministe serbe tenta de répandre les idées féministes dans l'environnement pluriethnique du Royaume de la Yougoslavie aussi bien qu'en Tchécoslovaquie.
Les discours de modernité et les travaux féministes ont prouvé que la Serbie «rattrapait le retard» avec l'Europe de l'Ouest dans l'entre-deux-guerres.

Justement, Julka Hlapec-Đorđević était féministe, et c'est précisément pour cela qu'elle s'est opposée au nationalisme allemand. Pensez-vous que le nazisme persécutait plus spécifiquement les femmes ?
 
La propagande nazie était concentrée sur la famille et le mariage. La femme était assignée au foyer sans occuper aucune position de leadership dans la hiérarchie du parti.
À la conférence de l'Organisation des Femmes Nationales-Socialistes, en 1934, Hitler déclara que chaque enfant était l'enjeu d'une vaste bataille autour de l'existence du IIIème Reich.
Les femmes ayant quatre enfants ou plus se voyaient décerner la croix d'honneur de la mère germanique, et la répression de l'avortement était sévère. Les femmes furent ainsi des mères-objets, chargées d'accomplir les plans totalitaires de l'État Nazi.
Une contemporaine comme Julka Hlapec-Đorđević s'opposa à tout cela en étant pionnière sur les questions d'identité féminine, de sexualité, de contrôle des naissances, etc.

Diana Budisavljević s'est engagée dans l'aide humanitaire en Serbie, tout particulièrement auprès des personnes internées dans les camps de concentration. Le génocide contre les Serbes est une page peu connue de l'histoire yougoslave: pouvez-vous détailler ce qui s'est passé ?
Vous avez absolument raison. En dépit du fait que le petit État indépendant de Croatie créé en avril 1941 par la volonté des nazis, dont il était une marionnette, ait mis sur pied un système de camps de la mort semblables à ceux établis en Allemagne, cela n'a pas réellement interpellé l'opinion.
Une des raisons réside peut-être dans le contrôle que le régime communiste instauré après la seconde guerre exerça sur les informations qu'il laissait filtrer dans les démocraties occidentales.
La Croatie a mis sur pied un système de camps de la mort semblables à ceux établis en Allemagne.
Les historiens de l'Est avaient du mal à communiquer avec leurs homologues de l'Ouest.

L'historiographie italienne s'intéresse depuis peu à cette question, notamment sur la base de témoignages apportés par des officiers italiens témoins de crimes de guerre perpétrés dans les camps de concentration croates.
Avec l'aide d'un officier Allemand, Diana Budisavljević réussit à sauver des milliers d'enfants serbes emprisonnés dans le fameux camp de la mort Jasenovac. Rappelons quelques chiffres: sur 19 432 enfants morts à Jasenovac, il y eut 11 888 Serbes (61,18 %), 5 469 Tziganes (28,14 %), 1 911 Juifs (9,83 %), et 164 (0,85 %) de nationalité inconnue.
L'action humanitaire de Budisavljević fut oubliée après la guerre et son nom fut occulté pendant des dizaines d'années, les communistes et les sympathisants ayant mis à leur crédit toutes ses actions déployées dans ce domaine. Malheureusement, le manque d'information du public a entraîné beaucoup d'incompréhensions sur ce sujet et dans bien d'autres domaines.
Source Le Figaro
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