mardi 8 août 2017

Jacob Davis, celui par qui le jean est arrivé...


Fils d’un modeste tailleur juif émigré, Jacob Davis a l’idée de réaliser un pantalon de travail en denim renforcé avec des rivets. En s’associant avec son fournisseur, il fera de l’ancien négoce de Levi Strauss une industrie à part entière......Détails.........


 
Soixante-huit dollars : la somme était d'importance. C'est le montant que lui demandait le bureau américain des brevets pour mettre en forme et protéger son invention, ce pantalon à la résistance renforcée par des rivets de cuivre qu'il avait déjà vendu à 200 exemplaires.
Hélas, il ne disposait que de 30 dollars... C'est alors qu'il se souvint de son fournisseur, un certain Levi Strauss. Installé en Californie, ce dernier lui fournissait depuis plusieurs années les toiles avec lesquelles il fabriquait les vêtements qu'il vendait dans sa boutique de Reno.
Peut-être accepterait-il de l'aider financièrement, quitte à partager avec lui les recettes de son brevet... Il décida donc de lui écrire.
En cette année 1872, Jacob Davis a déjà pas mal bourlingué. Né à Riga (Lettonie) en 1831 sous le nom de Jacob Youphes, ce fils d'un modeste tailleur juif a émigré aux Etats-Unis en 1854.
C'est là qu'il a adopté son nouveau nom. A New York d'abord, puis dans le Maine, en Californie et au Canada, il a, avec des fortunes diverses, multiplié les métiers. En 1868, après plusieurs échecs professionnels, il s'est installé à Reno, dans le Nevada. Renouant avec son métier d'origine, il y a ouvert une petite boutique de tailleur.
Avec un certain flair, il décide de se spécialiser dans les vêtements de travail et de s'adresser en priorité aux ouvriers et aux manoeuvres travaillant à la construction du Central Pacific, le premier chemin de fer transcontinental américain reliant la Californie à l'Utah et dont le trajet passe précisément par Reno.
Enhardi par le succès, il s'est également lancé dans la fabrication de toiles de tente, de bâches pour wagons et de couvertures pour chevaux, autant de produits consommés en quantité sur le chantier du Central Pacific.
Depuis son arrivée à Reno, son principal fournisseur est Levi Strauss, un homme qu'il n'a jamais rencontré, mais avec lequel il est en contact régulier.
C'est à lui qu'il achète la matière première dont il se sert pour confectionner ses vêtements, notamment les rouleaux de duck et surtout de denim, ce tissu de coton bleu à armature de serge dont le nom est une contraction de l'expression « de Nîmes », sa région d'origine.

Un pantalon d'un nouveau genre

Nous sommes alors en 1870. Cette année-là, une femme pousse la porte de la boutique de Jacob Davis. Elle est venue commander un pantalon pour son époux, bûcheron de son état.
Il faut, précise-t-elle, que le vêtement soit très résistant, en particulier au niveau des poches et de la braguette, les deux points faibles des pantalons classiques.
Le tailleur a vite fait de trouver la solution : pourquoi ne pas renforcer la toile par des rivets métalliques ? Il se trouve que Davis dispose d'un important stock de pièces de cuivre qu'il utilise pour fabriquer des bretelles et des attaches de couverture.
C'est ainsi que, pour trois dollars, Davis réalise un pantalon d'un nouveau genre : un vrai pantalon de travail, et non l'une de ces salopettes que l'on peut acheter un peu partout. 
Le succès est immédiat. A Reno, les autres tailleurs ont du coup commencé à copier son pantalon.

D'où la nécessité de protéger ce qu'il considère à bon droit comme son invention. D'où également sa décision de faire appel à Levi Strauss... Dans l'affaire, Jacob Davis ne recherche pas seulement les quelque dizaines de dollars qui lui manquent pour déposer son brevet.
Il est en quête d'un partenaire de long terme capable de l'aider à se développer. Car Davis en est persuadé : son pantalon de travail a un grand avenir devant lui, et pas seulement à Reno, pour peu que l'on augmente la production. Pour cela, il lui faut bien plus que les 30 ou 40 dollars qui lui font défaut. C'est plusieurs centaines de dollars dont il a besoin.
Cet argent, le tailleur de Reno ne l'a pas, pas plus d'ailleurs qu'il n'a de stocks de tissus. Deux choses dont Levi Strauss, en revanche, dispose, et même en grandes quantités...
Lorsqu'il reçoit la lettre de Davis dans le courant de l'année 1872, cela fait longtemps que Levi Strauss, alors âgé de quarante-trois ans, est une figure en vue de San Francisco. Négociant prospère et respecté, il est l'un des piliers des milieux d'affaires locaux ; c'est aussi l'un des principaux mécènes de la communauté juive de la ville.
C'est lui qui a financé la construction de la première synagogue. A bien des égards, sa vie ressemble à celle de Jacob Davis. Né en 1829 en Bavière, Levi Strauss - Loeb Strauss de son vrai nom - est arrivé aux Etats-Unis en 1847 pour y rejoindre deux de ses frères, qui ont fondé à New York un commerce de gros en articles textiles, J. Strauss Brother & Co.
C'est là, au sein de la modeste entreprise familiale, que Levi a commencé son apprentissage. Son destin a basculé au début des années 1850 lorsque le jeune homme a décidé de rejoindre la Californie, secouée alors par la fièvre de l'or. Naguère petite bourgade, San Francisco compte à présent plus de 50.000 habitants.
Véritable mosaïque de peuples, elle abrite 537 débits de boissons, 144 tavernes, 46 maisons de jeu, 48 « maisons de rencontres »...

Le second souffle de Levi Strauss & Co

Arrivé à San Francisco par l'isthme de Panama en 1853, il a décidé non pas de devenir chercheur d'or - une activité à hauts risques ! -, mais de vendre aux prospecteurs ce dont ils ont besoin.
C'est ainsi qu'il a ouvert sur Sacramento Street, la principale artère de la ville, un magasin de gros en articles textiles.
Aux innombrables petits magasins qui ont surgi un peu partout, il vend de la mercerie, des vêtements et des sous-vêtements, mais aussi des parapluies, des mouchoirs et des rouleaux de tissus, tous articles qu'il se fait expédier par ses frères depuis New York.
Une vingtaine d'années plus tard, Levi Strauss & Co est devenu un négoce très prospère, qui emploie plusieurs dizaines de personnes et occupe de vastes locaux sur Battery Street.
L'homme d'affaires se montre d'emblée intéressé par la proposition de Jacob Davis. Il est en quête d'un second souffle. Fabriquer des pantalons ? Pourquoi pas !
Même si la ruée vers l'or est achevée depuis déjà quelques années, il sait qu'un marché existe pour l'invention de son client.
Aux prospecteurs des années 1840 et 1850 ont succédé les ouvriers des chemins de fer et du bâtiment mais aussi les journaliers agricoles, tous demandeurs d'un vêtement de travail résistant.
Et ce qui est vrai pour la Californie l'est aussi, sans doute, pour tout le pays qui, depuis la fin de la guerre de Sécession en 1865, connaît un développement économique très rapide.
Le temps de s'entendre sur les modalités de leur collaboration et, le 20 mai 1873, les deux hommes déposent officiellement le brevet pour le pantalon renforcé de rivets. Le « jean » vient de naître...
En fait, c'est sous l'appellation de « salopette cintrée » que la société Levi Strauss commercialise son pantalon. Le terme de « jean » - contraction de la ville de Gênes, d'où proviendrait le célèbre bleu utilisé pour teindre le vêtement - ne s'imposera que bien plus tard, au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Pour l'heure, la « salopette cintrée » entend se démarquer de la salopette classique utilisée depuis des décennies par les Américains comme vêtement de travail. La fabrication des pantalons est au départ confiée à un réseau d'ouvrières à domicile réparties à San Francisco et dans ses environs. Elle est supervisée par Jacob Davis, qui, dès 1873, a quitté le Nevada pour s'installer en Californie avec sa famille.
Ce n'est qu'au début des années 1880 qu'une véritable usine sera créée à San Francisco, achevant de faire de l'ancien négoce en articles textiles créé par Levi Strauss une industrie à part entière.
Une reconversion qui doit beaucoup à Davis. En 1886, l'entreprise se dote de son premier logo, symbole de la résistance du vêtement : deux chevaux écartelant un pantalon pour tenter, sans succès, de le déchirer.
En 1890, alors qu'il se vend déjà dans une bonne partie des Etats-Unis, le pantalon prend le nom de « 501 ». Un simple numéro de lot au départ, mais qui allait vite devenir célèbre.
Cinq ans plus tard, l'entreprise met en vente les premiers pantalons adaptés à la pratique de la bicyclette. A cette date, Jacob Davis, âgé de soixante-quatre ans, supervise toujours les fabrications de l'entreprise. Il le fera jusqu'en 1907, date à laquelle il cède ses parts dans l'entreprise et, fortune faite, se décide à prendre sa retraite.
Il mourra l'année suivante. Levi Strauss, lui, est mort six ans plus tôt, en 1902, à l'âge de soixante-treize ans. Le 501 a fait de lui un homme riche : à sa mort, il laisse une fortune de 6 millions de dollars.
Le célèbre pantalon lui a également permis de se lancer dans de nouvelles aventures : il a racheté la principale fabrique de lainages de San Francisco ; il s'est aussi intéressé aux chemins de fer, une tentative sans succès, cette fois. Preuve de sa réputation : le jour de ses funérailles, toutes les entreprises de la ville ont fermé leurs portes pour permettre à leurs dirigeants d'assister à la cérémonie.
Faute d'enfants, c'est aux fils de ses frères que Levi Strauss a cédé l'entreprise. C'est à eux qu'il appartiendra de partir à la conquête du monde.

Tristan Gaston-Breton

Source Les Echos

Source Tribune Juive
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