mardi 24 mai 2016

Shoah : 30.000 lycéens israéliens sur 120.000 se rendent en Pologne




Le traditionnel voyage dans les camps de la mort en Pologne, organisé depuis 1988 et effectué chaque année par des milliers de lycées israéliens en classe de première ou de Terminale, va-t-il être remis en cause ? Lors d’une réunion du comité de l’Education de la Knesset plusieurs parlementaires ont tiré le signal d’alarme...







« Il faut suspendre toutes les « Marches des vivants » jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée pour les élèves issus de milieux défavorisés », a proposé le député Yaakov Margi (du parti religieux Shaas), qui supervise le comité.
C’est un fait : comme l’a rappelé l’élu Itzik Shmuli, du Parti travailliste, seuls 30.000 lycéens israéliens sur un total de 120.000 se rendent en Pologne. Un voyage pédagogique de moins d’une semaine qui coûte en moyenne 7.000 shekels (1.985 euros) par participant, une dépense que toutes les familles ne peuvent se permettre.
Bien que le Ministre de l’Education alloue un budget de 50 millions de shekels pour les élèves les moins nantis, la procédure de constitution d’un dossier de bourse mettrait dans l’embarras les candidats et seraient sous-utilisée.
Résultat : seul un quart des Israéliens effectuent ce parcours initiatique, pendant lequel ils prennent notamment part à Auschwitz aux “Martches des vivants”, aux côtés de responsables politiques et d’anciens déportés ; se réunissent ensuite autour du mémorial international de Birkenau, s’y recueillent et récitent le kaddish, la prière juive des morts, ainsi que les noms de victimes.
« Nous ne pouvons plus cautionner le fait que ce voyage soit réservé aux plus nantis, ni soutenir l’industrie des voyages en Pologne », a fait encore valoir le comité de la Knesset.
Parmi ceux qui assistaient aux débats, le lycéen Oded Friedman. Ce dernier a précisé que ses parents étaient en mesure de financer le voyage, mais qu’il a préféré y renoncer, en raison de sa formation de scout qui lui enseigne le devoir de solidarité.
« Je n’allais pas m’occuper de moi et laisser mes amis moins bien lotis se morfondre à la maison. Lorsqu’un élève sollicite une bourse, tout le monde est au courant et c’est mal vu ».
Ce débat intervient dans la foulée d’un récent scandale qui a fait la une des médias israéliens. A la mi-janvier, neuf cadres d’agences de voyages israéliennes ont été arrêtés par la police qui soupçonne une entente frauduleuse sur les prix demandés aux lycéens pour la visite des camps de concentration en Europe.
La police israélienne soupçonne au moins six agences de voyages d’avoir violé les règles de la concurrence en s’entendant sur les tarifs avant de répondre aux appels d’offres, lancés par le ministère de l’Education pour emmener les lycéens sur les lieux de mémoire de la Shoah.
Les agences, qui se seraient partagé le marché, auraient fait en sorte que les prix ne soient pas tirés vers le bas.


Rite de passage obligé ?


Reste que les critiques autour des voyages en Pologne ne s’appuient pas seulement sur un argumentaire économique. C’est ainsi que la parlementaire du parti centriste Koulanou, Yifat Shasha-Biton, a appelé à reconsidérer la justification de ce voyage organisé le plus souvent pendant l’année scolaire. « Je ne suis pas sûre de l’incidence réelle de ce déplacement. Nous devrions nous demander si ce voyage est la seule façon d’enseigner l’Holocauste. Peut-être faudrait-il trouver une alternative, éventuellement dans un cadre lié à l’armée », a-t-elle suggéré.
Il y a quelques années, le documentariste israélien Yoav Shamir (auteur du long métrage Check Points en 2003) avait signé Diffamation, un film charge contre le voyage en Pologne.
Soucieux de montrer la façon dont les jeunes Israéliens sont élevés « dans l’ombre oppressante de la Shoah », le réalisateur s’était fondu dans un groupe, des préparatifs jusqu’à la visite d’un camp d’extermination. Avant de filmer de jeunes adolescents s’empiffrant de biscuits apéritifs « bambas » et chantant à tue-tête dans le bus qui les conduisait à un camp de la mort ; ou de dénoncer « l’endoctrinement » des lycéens par leurs accompagnateurs qui les enjoignent de se méfier de la population locale qui « hait encore les Juifs ».
« Le voyage en Pologne est un rite de passage obligé avant le service militaire. Et il est clair que ce périple autour de la souffrance juive pendant la Shoah insensibilise les jeunes Israéliens à la douleur des Arabes palestiniens », avait alors déclaré le réalisateur.
Dans son film, il se contente d’une autre conclusion : « Il est peut-être temps (pour les Israéliens) de vivre dans le présent et de regarder en direction du futur ». Un avis qui est loin de faire l’unanimité.


Nathalie Hamou


Source Israel Valley