vendredi 30 octobre 2015

Paracha Vayera : la curiosité excessive de la femme de Loth

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Parachat Vayéra : « Il détruisit ces villes, toute la plaine, tous les habitants de ces villes, et la végétation du sol. Sa femme regarda derrière lui et elle devint une statue de sel. » (Beréchit, 19:25-26) Rachi explique, sur les mots « Elle devint une statue de sel » : Elle fauta avec le sel et fut punie par le sel ; il [Loth] lui dit : « Donne un peu de sel à ces invités. » Elle répondit : « Veux-tu instaurer, ici aussi, cette mauvaise habitude ?! »...



En décrivant la destruction de Sodome, la Thora nous relate la mort tragique de la femme de Loth ; elle se transforma en statue de sel lorsqu’elle se retourna pour regarder l’anéantissement de la ville.
Rachi explique le sens de cette punition ; c’est parce qu’elle fit preuve de cruauté quand son mari lui demanda de servir du sel aux invités. [1] La réponse de Rachi soulève toutefois une autre question – d’après le récit de la Thora, elle mourut parce qu’elle regarda Sodome, et non parce qu’elle a refusé de donner du sel à ses invités.
Si la malveillance qu’elle témoigna quand elle devait donner le sel fut la véritable cause de sa mort, pourquoi périt-elle précisément quand elle se retourna pour regarder la destruction de Sodome ? Il semblerait donc que sa cruauté et son regard en arrière soient liés. Quel est leur rapport ?
Pour répondre à cette question, nous devons comprendre ce qui l’incita à regarder la destruction de Sodome.
Il est intéressant de noter qu’elle ne fut pas la seule personne à observer cet événement tragique – Avraham Avinou aussi y assista, mais les termes employés pour évoquer leurs regards sont différents. Concernant la femme de Loth, la Thora utilise le verbe « lehabit », qui signifie regarder fixement, tandis que pour Avraham, le mot employé est « vayachkef », dont la racine sous-entend un regard basé sur une réflexion profonde. [2] Le regard d’Avraham sur la destruction de Sodome était donc plein de méditation.
Dans le même ordre d’idées, le Rachbam écrit qu’il voulait voir s’il y avait dix personnes vertueuses par le mérite desquelles la ville de Sodome pouvait être épargnée [3].
Là encore, on peut voir la bonté débordante d’Avraham, alors qu’un massacre se déroulait devant lui.
À l’inverse, le « regard » de la femme de Loth ne résultait pas d’une quelconque bienveillance, comme le prouva son attitude cruelle quand on lui demanda du sel. Pourquoi regarda-t-elle la destruction de la ville ? C’était peut-être par pure curiosité et non par pitié pour les personnes disparues, elle voulait juste voir ce qui leur arrivait.
Ceci méritait en soi une sanction, mais la nature étrange de sa mort fut le résultat de son insensibilité concernant le sel. C’était une preuve de son manque de bienveillance et l'on en déduit que son regard vers la destruction de Sodome ne provenait pas d’un quelconque souci pour autrui, mais qu’il était plutôt le résultat de sa curiosité.[4]

Nous avons vu que la curiosité avide de la femme de Loth fut la cause de sa disparition. On apprend de là une leçon importante sur l’attitude à développer envers la curiosité. On peut penser que c’est un trait de caractère neutre, mais comme tout « trait de caractère neutre », elle peut être appliquée de manière positive ou négative. Il est vrai que la curiosité incite la personne à s’intéresser au monde et à élargir ses horizons.
Le ‘Hazon Ich zatsal disait qu’on peut lire les gros titres des journaux afin de savoir ce qui se passe dans le monde. [5] Cependant, si la curiosité est mal utilisée, elle est préjudiciable. Si elle est un but en soi, elle peut, au mieux, entraîner une perte de temps. Elle risque également, ce qui est bien plus regrettable, d’entraîner beaucoup de lachon hara et d’impliquer la personne dans des affaires peu recommandables.
Rav Steinman chlita, dans son commentaire sur l’histoire de la femme de Loth, note qu’il est courant, de nos jours, de s’intéresser à chaque détail des tragédies qui surviennent. Apprendre trop de choses sur les événements difficiles peut avoir des conséquences négatives, comme une peur excessive, voire une paranoïa.
Quelle est l’opinion de la Thora sur les gens qui passent leur temps à enquêter et à discuter de ce qui se passe autour d’eux ?
Dans Parachat Massé, la Thora parle du cas du meurtrier involontaire. Il risque d’être tué par le goel hadam (un membre de la famille du défunt qui voudrait venger le sang de son proche), jusqu’à ce qu’il s’exile dans une ville de refuge, dans laquelle il est en sécurité. Les Sages nous informent que plusieurs panneaux indiquaient les villes de refuge, afin que le meurtrier puisse y accéder rapidement.
En revanche, quand les gens allaient au Beit HaMikdach (au Temple) pour les trois Fêtes de Pèlerinage, Jérusalem n’était pas indiquée — pourquoi aucun panneau ne signalait cette ville sainte ? C’est parce qu’Hachem veut que les gens se demandent quelle route prendre pour arriver au Temple, Il veut que les discussions soient axées sur un sujet de sainteté.
Par contre, Hachem ne souhaite pas que le tueur involontaire demande aux gens son chemin, parce que ces derniers risquent de parler d’incidents déplaisants.
Ceci nous enseigne que bien qu’il soit correct d’écouter ou de lire les informations, il convient de faire attention à ne pas dépasser la limite entre la connaissance et l’intérêt excessif pour les faits déplorables. [6] L’histoire de la femme de Loth nous indique comment et quand l’intérêt porté à autrui est opportun.




[1] Le midrach (Beréchit Raba, 50:4, 51:7) raconte en détail sa réaction cruelle en ce qui concerne le sel. Quand Loth invita les anges chez lui, sa femme n’apprécia pas sa générosité. Elle décida de l’incriminer aux yeux des habitants de Sodome ; lorsque Loth lui demanda si elle avait du sel à ajouter au repas qu’il servait, elle alla chez ses voisines et leur demanda du sel « pour des invités ».
[2] Parfois, cette forme de regard prend une connotation négative, comme dans Beréchit, 18:17, et elle est parfois positive, comme dans Devarim, 26:15. Il s’agit ici d’un regard qui ne provient pas d’une simple curiosité, mais qui est accompagné d’une réflexion.
[3] Beréchit, 19:28. Voir Seforno qui explique différemment pourquoi Avraham regardait là-bas.
[4] Voir Kli Yakar, 19:17 pour son explication sur la raison du regard de la femme de Loth et la raison de sa punition. Cette approche fut présentée au rav Its’hak Berkovitz qui la valida.
[5] Propos entendus du rav Its’hak Berkovitz chlita.
[6] Propos entendus du rav Yé’hiel Jacobson chlita.



Rav Yehonathan GEFEN


Source Torah Box