jeudi 30 juillet 2020

Jeûne du 9 Av......

Le jeûne du 9 Av est très ancien, il était déjà pratiqué durant la période du deuxième Temple et marquait la destruction du premier Temple (- 586). Cependant, le deuxième Temple ayant été détruit en 70 à une date proche (également durant le mois de Av), on associe au 9 Av les deux destructions et symboliquement l’exil en général...


La mishna (Taanit 4:6) associe cinq évènements dramatiques à la date du 9 Av.
La faute des explorateurs au moment de la sortie d’Egypte. (Nombres chapitres 13-14)
La destruction du Premier Temple en -586
La destruction du Second Temple en 70
L’échec de la révolte de Bar Kokhba, qui s’acheva sur la destruction de la forteresse de Betar
Jérusalem labourée symboliquement par les romains en signe de destruction totale.
משנה מסכת תענית פרק ד משנה ו
חמשה דברים אירעו את אבותינו בשבעה עשר בתמוז וחמשה בתשעה באב בשבעה עשר בתמוז נשתברו הלוחות ובטל התמיד והובקעה העיר ושרף אפוסטמוס את התורה והעמיד צלם בהיכל בתשעה באב נגזר על אבותינו שלא יכנסו לארץ וחרב הבית בראשונה ובשניה ונלכדה ביתר ונחרשה העיר משנכנס אב ממעטין בשמחה

Un jour sous le signe du malheur :


La tradition juive lui associe toutes sortes d’évènements dramatiques par la suite (Talmud brûlé à Paris, expulsion d’Espagne, etc…). Certains de ces évènements ont effectivement eu lieu à cette date (le plus surprenant est le début de la guerre de 14-18), d’autres n’ont rien à voir mais lui sont associés pour des raisons symboliques. Parfois les persécuteurs des juifs la choisissaient en connaissance de cause.
Le fait est qu’on a fini par considérer la période comme défavorable et néfaste, ce qui relève d’une pensée discutable et même contestable d’un strict point de vue juif. Le temps serait-il déterminé et serait-il découpé en tranches favorables ou défavorables, tout au long de l’année ?
Au moyen âge certains rabbins en étaient totalement convaincus.
De nos jours on trouve encore chez une partie du judaïsme (chez certains fondamentalistes) une tendance à mettre ce principe de déterminisme historique en avant. Le but étant surtout de chercher à convaincre les gens de suivre la religion plus strictement en « montrant » comme tout cela est logique, impressionner et donc jouer sur la crainte.
Nous nous méfions de ce genre d’approche que l’on peut qualifier de démagogique et manipulatrice.
Avant d’affirmer avec sérieux un tel déterminisme historique, il faudrait faire une étude statistique de quelque ampleur ; mais il y a de fortes chances qu’on constaterait que les malheurs arrivent à tout moment et qu’aucune période de l’année n’est plus néfaste qu’une autre.
Ce qui est sûr c’est que durant l’antiquité cette période était celle des invasions et des sécheresses parfois dévastatrices et sources d’épidémies.
Un moderne trouvera absurde une telle vision déterministe de l’histoire, il n’empêche que la symbolique demeure et la commémoration également.
Il est donc légitime d’associer symboliquement à cette date différents grands drames de l’histoire juive. C’est en ce sens que la Mishna demeure pour nous pertinente dans son enseignement, car elle crée un lien de sens entre différents épisodes, mythiques ou historiques, qui relèvent tous du même fondement, une cassure entre Israël et Dieu. Et c’est à ce niveau symbolique que nous devons rester attachés aux rites et significations du 9 Av.

Un jeûne à abolir ?


Depuis la création de l’Etat d’Israël, et donc depuis la fin de l’exil pour une très grande part du peuple juif et le maintien d’un exil volontaire pour l’autre, on peut à juste titre se poser la question du bien-fondé de ce jeûne.
Bien que sensibles aux arguments appelant à l’atténuer, nous pensons au sein du mouvement Massorti qu’il doit être maintenu. Ceci pour plusieurs raisons.
D’abord il correspond à une coutume extrêmement ancienne. Le choix de la saison rejoint une idée répandue dans le Proche-Orient antique soumis à la sécheresse estivale, que le cœur de l’été correspond à une sorte de traversée du monde de la mort qui débouchera finalement sur une résurrection avec le retour de la pluie, fêté à Soukot dans le judaïsme (on a la même idée au cœur de l’hiver avec Hanouka).
Tamouz, avant d’être le nom d’un mois du calendrier juif (celui qui précède Av et marque le début de la période de deuil), était le nom d’une divinité babylonienne symbolisant la mort et le renouveau de la nature.
Le 9 Av n’est donc pas seulement une date historique précise, mais s’insère dans le cycle des fêtes annuelles et sa dynamique.
Ce concept deviendra central dans la pensée mystique du mouvement hassidique : « yerida letsorekh alya » « il faut descendre pour pouvoir remonter ». Il nous semble très important de garder le souvenir d’une chute mystique et symbolique au sein du calendrier juif qui dépasse le cadre historique, comme le précise la Mishna.
D’un point de vue historique, la date reste attachée à des événements trop importants pour l’histoire juive et que l’on ne saurait oublier.
Certes, la création de l’Etat d’Israël représente une étape nouvelle et très importante dans l’histoire juive, mais cet évènement ne représente pas pour autant la fin totale de l’exil. L’Etat d’Israël est soumis à une pression sécuritaire très dure et accumule de nombreux problèmes sociaux et spirituels. Il serait donc illusoire de se croire arrivé quand le chemin qui reste à parcourir est encore long.
À propos de la destruction du Temple, des juifs modernes diront peut-être que cela ne les concerne plus, se sentant détachés du rituel des sacrifices. A quoi bon se préoccuper d’un édifice dont l’usage lui-même, les sacrifices, la caste des Cohanim, semblent totalement obsolètes ?

Nous leur répondrons qu’ils ont en partie raison et qu’une grande part du système du Temple, sacrifices d’animaux, sang versé rituellement, viandes et graisses brûlées, prêtres institués par héritage, lois sur la pureté et l’impureté, restent en effet bien étrangers à la mentalité contemporaine, pour ne pas dire totalement incompréhensibles, voire repoussantes.
Cependant, tous ces aspects, si on les étudie de plus près, sont loin d’être inintéressants et contiennent une part de vérité éternelle et c’est à cela que nous nous attachons.
De plus, le Temple représentait le lieu de la Shekhina, donc la possibilité d’une harmonie du monde, d’une relation au spirituel. Cela est peut-être historiquement illusoire, mais symboliquement et spirituellement pertinent.
Au delà de l’Histoire, le judaïsme considère que les êtres humains sont en exil d’eux-mêmes.
La perte du Temple représenterait donc beaucoup plus que la chute d’un bâtiment et d’une institution, elle serait liée à l’exil ontologique de l’être humain en ce monde et à sa difficulté d’y faire régner l’harmonie.
C’est à dire que dans le fond, nous sommes en deuil de ce que nous n’avons pas encore réussi à construire...
C’est pourquoi il nous faut réfléchir en ce jour au sens de l’histoire juive, à l’éthique, à l’amour d’Israël dans toutes ses nuances, même celles qui nous sommes éloignées, à l’idée d’une humanité spirituelle et solidaire construisant l’harmonie. Nous jeûnons donc pour nous souvenir que nous n’avons pas fait assez pour construire un monde meilleur.
Dans ce contexte, le jeûne du 9 Av n’a rien perdu de son sens, bien au contraire. 
Ajoutons la citation du Talmud Taanit (30b) :
Celui qui prend le deuil de Jérusalem, mérite de voir sa joie [la joie de sa reconstruction]. Celui qui ne prend pas le deuil de Jérusalem, ne verra pas sa joie.

 כל המתאבל על ירושלים זוכה ורואה בשמחתה, ושאינו מתאבל על ירושלים - אינו רואה בשמחתה

Coutumes liées au 9 Av :

La semaine précédant le jeûne, certains s’abstiennent de consommer de la viande et de boire du vin. Cette abstinence représente une marque de piété qui n’est en rien obligatoire.
Si le 9 Av tombe un Shabbat, le jeune sera repoussé au dimanche.
Avant le coucher du soleil, on mange un dernier repas composé selon les coutumes de différentes denrées (lentilles, œufs durs trempé dans la cendre…). Nous conseillons de boire énormément tout au long de la journée qui précède le jeûne afin de mieux le supporter. En aucun cas, on ne doit mettre sa santé en danger.
Le jeûne commence avec le coucher du soleil, il finira le lendemain soir, la nuit tombée.
Durant cette journée on s’abstiendra de toute activité joyeuse.
À la synagogue, le jeûne est marqué par un office particulièrement sombre. On lit les « Lamentations ». On a pris la coutume (à peu près au moyen âge) de réciter toutes sortes de poèmes liturgiques sur la destruction d’Israël (kinot).

Durant la journée, l’office du matin sera tout aussi sinistre, sans Talit, ni Tefilines (mis seulement l’après-midi, pour Minha).
A la nuit tombée, une fois le jeûne sorti, on fait un repas frugal (sans viande) et on a coutume de garder une atmosphère de deuil jusque dans la journée du 10 Av.

Liturgie du 9 Av


La veille à Minha, on ne dit pas Tahanoun.
Le 9 av on prie à voix basse, sans décorum. La synagogue peu éclairée.
Le soir après la Amida on lit les lamentations (Eikha) et plusieurs kinot (élégies).
Le matin on prie sans Talit ni Tefiline*. Pas de tahanoun, ni avinou malkénou.
Lecture de la Tora (3 montées) Haftara.
Kinot diverses. Certains lisent encore une fois les lamentations.
Minha : on met Talit et Tefiline*.
Lecture de la Tora (3 montées)
Amida avec la fameuse bénédiction Na’hem (console) que le mouvement Massorti modifie quelque peu (voir ci-dessous).
Après la sortie du jeûne (nuit tombée) Arvit et bénédiction à la lune (birkat levana) si possible. (Certains font la birkat levana seulement après le repas pour être vraiment dans la joie -
La Massékheth Soferim (18, 4) recommande la lecture, le 9 av, du psaume 79, et beaucoup de communautés ont adopté cet usage.
Ce psaume, annonciateur de la destruction des deux premiers Temples de Jérusalem, commence par les mots : « Cantique à Assaph, Dieu ! les nations sont entrées dans ton héritage ; elles ont profané ton saint temple ; elles ont mis Jérusalem en monceaux de pierres. »

* Signalons qu’en Israël une coutume séfarade est de mettre les Tefiline normalement dès le matin. L’avantage de cette coutume dans les communautés peu religieuses et d’inciter les gens à mettre leurs Tefiline, car forte chances de ne pas les voir à Minha et qu’ils ne mettent pas du coup leurs Tefiline... Cela dit, il existe toutes sortes de coutumes différentes : a - les mettre normalement (Ramban ; Rashba ; Rabbi Menahem ibn Zerah ; le Rosh...) b - Ne pas les mettre du tout, comme un endeuillé (Ra’avad ; Or Zarua...) c - Faire un compromis, c’est à dire repousser à Minha (Maharam de Rotenbourg qui inventa la chose et opinion retenue par le Shoulhan Aroukh).

Source masorti