lundi 26 janvier 2015

Le château de Beaufort ressuscite de ses ruines...

 
Surplombant, depuis le XIe siècle, la vallée du Litani, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël, le château de Beaufort, longtemps prisé pour sa position stratégique, maintes fois détruit et reconstruit, vient d'être enfin complètement restauré. L'idée de restaurer le château, également appelé Kalaat al-Chkif, remonte à l'an 2000, après le retrait d'Israël du Liban-Sud...


Pendant un an, l'architecte restaurateur Jean Yasmine, commissionné par la Direction générale des antiquités (DGA), mène une étude préalable, avec d'autres chercheurs, des archéologues, ainsi que des spécialistes en pathologie de la pierre. En 2007, la DGA envoie le projet au Conseil du développement et de la reconstruction (CDR), qui le valide en 2010. Depuis cette année-là, le château de Beaufort était en restauration.
« L'histoire de Beaufort est une histoire de constructions et de destructions », explique à L'Orient-Le Jour Jean Yasmine, chef du projet de restauration du château et détenteur d'un doctorat en archéologie.
D'abord livré aux croisés en 1139, le château est occupé en 1190 par Saladin, premier dirigeant de la dynastie ayyoubide après une bataille contre Renaud de Sagette.

En 1240, le sultan de Damas, al-Saleh Ismaël, le livre aux croisés, qui eux-mêmes le vendent 20 ans plus tard aux Templiers. En 1268, le sultan mamelouk Baïbars attaque le château et en détruit une grande partie. Après trois siècles plutôt calmes, le château de Beaufort intègre, au XVIIe siècle, le réseau de fortification de Fakhreddine qui combat les Ottomans. En 1782, al-Jazzar, gouverneur de Saint-Jean-d'Acre, assiège la forteresse et détruit ses fortifications.
En 1837, c'est un grand tremblement de terre qui détruit le château, qui à partir de là restera longtemps dans un état d'abandon.

Le donjon, en 2003 et en 2014. ©DGA
Avec chaque événement historique, au passage de chaque civilisation, le château évolue. Les croisés construisent le château haut, les Ayyoubides le château bas, ainsi que la porte principale du château haut. Les Templiers sont à l'origine de la partie sud de l'édifice, ainsi que d'une salle gothique et de la salle capitulaire, aujourd'hui détruite. Les Mamelouks, eux, ajouteront à la bâtisse un hammam et une mosquée. Plus tard, les gouverneurs locaux de Jabal Amel, des émirs de la famille Saab, y établissent leurs quartiers.
Durant la période contemporaine, le château sera utilisé par les fedayine palestiniens, en 1975, pour livrer bataille contre Israël.
Sept ans plus tard, en 1982, l'État hébreu bombarde le château, provoquant de grosses destructions, avant de l'occuper jusqu'en 2000, date de son retrait du Liban-Sud. Joseph Cedar, réalisateur israélien, fera d'ailleurs un film, Beaufort, nominé aux oscars en 2008, dans la catégorie meilleur film en langue étrangère.
En 2000, explique Jean Yasmine, « le château était totalement remblayé en raison des destructions causées par la guerre.
Il nous a fallu quatre ans de travail pour le reconstruire ».
Le CDR et la DGA ont déboursé 1,3 million de dollars pour cette entreprise de restauration. Le Fonds koweïtien pour le développement économique arabe a, pour sa part, apporté 2 millions de dollars. Avec ces 3,3 millions de dollars, des archéologues et des architectes sélectionnés par la DGA, ainsi que des experts, tous Libanais chapeautés par le CDR, ont pu mener trois types de travaux : d'abord les travaux archéologiques, ensuite la restauration et la consolidation des structures archéologiques et enfin la mise en valeur touristique et culturelle du site.
Ainsi, la tour maîtresse du château haut, qui date de l'époque des croisés, a été restaurée à l'identique « avec les anciennes techniques de construction et les anciens outils », précise M. Yasmine. La porte du château haut a également été restaurée.
Dans l'enceinte de la bâtisse, un espace formé du croisement de six voûtes d'arêtes a été aménagé en salle d'exposition et des panneaux explicatifs sur l'histoire de la forteresse y ont été installés. À l'extérieur, un parking a été aménagé, ainsi qu'un centre pour les touristes en forme de bunker totalement remblayé et quasiment invisible. A également été aménagée une autre salle d'exposition spécialement dédiée aux écoles ainsi que des bureaux et des toilettes.

La porte du château, en 2003 et en 2014. ©DGA


Des cadavres dans les déblais...

« Les travaux archéologiques ont été très difficiles, il y avait plus 6 000 m3 de gravats. Nous sommes tombés sur des obus, des cadavres datant des années 80 mélangés avec des restes archéologiques. Il fallait aussi identifier et relever les éléments archéologiques et replacer les pierres à leur emplacement d'origine, indique M. Yasmine. L'autre difficulté, c'est qu'à chaque fois qu'on dégageait les débris, il fallait consolider les murs instables avant qu'ils ne s'écroulent. »
Le 18 janvier courant, la fin de la restauration a été célébrée sous le patronage de Randa Berry, l'épouse du président du Parlement, en présence de plusieurs personnalités, parmi lesquelles le ministre de la Culture, Rony Araiji, le président du CDR, Nabil Jisr, le président du Fonds koweïtien, le président de la municipalité de Arnoun et le mohafez de Nabatiyé.
Tout au long des travaux, la DGA a veillé à garder le château ouvert même si son accès était limité. Aujourd'hui, touristes libanais et étrangers peuvent s'y rendre.

S'il fut un temps où les étrangers avaient besoin d'une autorisation du ministère de la Défense pour accéder à la région du château, située au Liban-Sud, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pour les plus curieux, un film sur la totalité des travaux entrepris sera bientôt disponible à la DGA.

Source
L'Orient le jour