jeudi 29 août 2013

Le soleil du Néguev à crédit

 
C’est dans un micro-bidonville tout proche du village bédouin d’El-Batal, situé à 15 kilomètres au nord de Beersheva, et à 500 mètres de l’implantation juive récente de Giv’ot Bar que Gil Nezer s’apprête à rencontrer Hassan (nom modifié pour raison d’anonymat), un potentiel client bédouin.
Le vice-président directeur marketing & ventes chez le distributeur de panneaux solaires Interdan Ltd. emprunte la route 310 entre Lehavim, satellite verdoyant de Beersheva, et la ville bédouine de Rahat. A proximité : des dunes jaunes et terreuses en sillons. A perte de vue : de vastes plaines désertiques beige.

Hassan attend le directeur marketing dans son 4X4 pour le conduire au milieu de nulle part. Aux yeux d’un Européen, le décor aurait tout d’un camp de Roms si, en arrière-plan, des moutons bruns plutôt chétifs, quelques chèvres et deux chameaux n’évoluaient pas non loin d’un vieil enclos.
Pendant la négociation du contrat de prêt de deux panneaux (13 000 shekels chacun), le plus jeune fils d"Hassan sillonne l’espace à vélo tandis que l’un des plus âgés s’approche pour comprendre ce qui est en jeu. Quant à la mère d'Hassan, elle attend, muette, enveloppée de voiles blancs, assise sur un vieux lit creux installé au centre d’un shigg (espace de rencontre) au sol bétonné. Elle semble souffrir de la chaleur ; on est en plein ramadan. L’appel à la prière se lève comme le vent. Les brumes de chaleur distordent l’horizon. Un courant d’air jette au sol une multitude de vêtements qui séchaient sur un grillage.
A l’instar d’environ 40 % des Bédouins du Néguev, Hassan est polygame. Ses 2 épouses vivent dans des logements distincts et ont donc besoin d’un système d’énergie solaire par foyer. De plus, « avec 3 enfants paralysés de naissance, il a besoin plus que quiconque de l’électricité en continu », explique Gil Nezer. Sans adresse et ayant récemment perdu son emploi de chauffeur de camion, « Hassan ne pourrait jamais obtenir de prêt via une banque traditionnelle sans PlaNet Finance ».


« Des chèvres et des Mercedes, et alors ? »

Nezer concède que « ce n’est pas évident pour tous les Bédouins de recourir à un prêt. Certains sont méfiants, d’autres pas habitués ». « L’éducation financière prend du temps », admet aussi Dina Weinstein, directrice générale de la branche israélienne de l’ONG.
Une vision contredite par Cédric Parizot, anthropologue au CNRS et chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman d’Aix-en-Provence. « Les Bédouins n’ont rien à voir avec la vision que leur prêtent les livres d’enfants. Ils ne sont pas plus démunis que vous ou moi pour mettre en place un système de microcrédit. Ils maîtrisent les rouages du système israélien et un certain nombre d’entre eux connaissent très bien l’univers de l’aide internationale. Le mode de vie de cette société est très urbanisé et intégré dans le fonctionnement de l’économie israélienne. Bien entendu, comme leurs concitoyens, certains sont mieux outillés que d’autres. »
« Outillé », Hassan l’est plus ou moins. Il porte un polo Lacoste blanc et tient dans la main un iPhone. Dans le shigg, une télé à tube cathodique et un poste de radio tranchent avec l’extrême dénuement des baraques en tôle rouillée, sans cloisons.
Mais pour Nezer, rien de contradictoire là-dedans. « C’est une communauté en transition. Et oui, ils ont à la fois des chèvres et des Mercedes. Et alors ? Beaucoup de juifs ashkénazes possèdent des biens immobiliers, mais roulent dans de vrais tacots. »


Un taux de remboursement de prêt de 99 %.

L’ONG PlaNet Finance Israël a reçu en juin l’Energy Globe Award Israël, prix récompensant des programmes environne­mentaux innovants, pour son projet pilote Energie Solaire pour les Bédouins (ESB). « C’est une première d’avoir associé microfinance, énergies renouvelables et crédits carbone, dans le cadre d’un projet de prêt à la consommation », se félicite Dina Weinstein.
Le but affiché est aussi de mettre un terme à l’utilisation de générateurs précaires, polluants et nocifs pour l’organisme. « Qui dit générateur dit maladies respiratoires. Grâce aux aides médicales fournies par notre partenaire l’AJEEC-NISPED, les Bédouins peuvent bénéficier d’une subvention santé qui leur permet de soigner leurs bébés à domicile, et non plus de les laisser à l’hôpital de Beersheva », explique Weinstein. « Maintenant qu’ils ont l’électricité en permanence, les Bédouins peuvent avoir une vie normale ».
En 2 ans, ESB a ainsi permis à près de 600 habitants de villages bédouins non reconnus de passer de générateurs diesel actifs 5 heures par jour, parfois un peu plus, à une énergie propre et virtuellement gratuite. A terme, PlaNet Finance Israël ambitionne d’aider cent fois plus de Bédouins.
« Le potentiel est énorme », tente de convaincre Weinstein. Mais la réussite du projet dépend de facteurs multiples et imprévisibles liés à la demande de panneaux solaires : « Les variations possibles de l’ensoleillement, les fluctuations des prix des panneaux, l’augmentation du prix du diesel en cas de guerre… ». Sans compter une recherche laborieuse de fonds privés. « Les philanthropes juifs préfèrent de façon générale donner à des projets qui touchent des bénéficiaires juifs », remarque Dina Weinstein.
L’idée que les Bédouins ne sont pas à même de rembourser ne facilite pas non plus la tâche. Or, contredisant les prévisions fatalistes, ESB affiche un taux de remboursement de 99 %, légèrement plus élevé que celui de la Banque mondiale. Pour atteindre ce taux record, PlaNet Finance a établi une procédure précise avec suivi mensuel et montant du prêt adapté au profil du client. Enfin, les agents de prêt étant eux-mêmes Bédouins, la communication n’en est que renforcée.


Source JerusalemPost