lundi 22 juillet 2013

En Indonésie, un café nazi ne suscite guère d'émoi


Un portrait d'Adolf Hitler, des drapeaux ornés de croix gammées, des serveurs en uniforme SS: en Indonésie, un café d'inspiration nazie est ouvert depuis 2011. Sans susciter guère d'émoi, au moins au niveau national.

Sous un tableau géant du "Führer", des jeunes étudiants savourent un Schnitzel accompagné de bière allemande. Des masques à gaz de la Seconde Guerre mondiale ornent les murs et des drapeaux rouges nazis à la croix gammée géante flottent au-dessus des tables. Pour son ouverture, les serveurs et le propriétaire avaient revêtu des uniformes de la Wehrmacht ou des SS.

 

Sur la vidéo de l'inauguration, diffusée sur le site de partage YouTube, on peut voir l'équipe du café découpant pour l'occasion un gâteau en forme de char allemand écrasant une ville en miniature. Le "Soldaten Kaffee" ("Café des soldats") a ouvert ses portes à Bandung, à quelques heures à l'est de Jakarta, en 2011. Dans l'indifférence générale, à la fois du public indonésien et des autorités.
Il aura fallu attendre un article paru mardi dans la presse indonésienne anglophone, et repris par les médias internationaux, pour pousser le maire adjoint de Bandung, Ayi Vivananda, à convoquer le propriétaire du café afin de lui "demander quelles sont ses intentions", explique-t-il à l'AFP.
"Ce qui est certain, c'est que la ville de Bandung ne peut tolérer que quelqu'un incite à la haine raciale", dit-il. La loi indonésienne punit d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement l'incitation à la haine raciale, mais les condamnations sont très rares.
Sollicité par l'AFP, le Centre Simon Wiesenthal, basé aux Etats-Unis, a exprimé sa "colère et le dégoût". "Nous escomptons que toutes les mesures appropriées seront prises afin de fermer cette entreprise qui célèbre une idéologie nazie dont l'essence même est de discriminer les gens de couleur et l'ensemble des non-Aryens", a déclaré le rabbin Abraham Cooper, un des responsables du Centre.
La réaction très tardive des autorités locales indonésiennes a visiblement été provoquée par la peur des critiques au niveau international après la révélation de l'existence du café dans la presse anglophone, ce qui tend à démontrer que les Indonésiens n'éprouvent pas de gêne particulière à la vue de croix gammées. "Nous vivons en Indonésie et les Indonésiens n'ont pas été torturés lors de l'Holocauste. Donc on s'en fiche", lâche Arya Setya, attablé avec sa copine au Soldaten Kaffee.
Il faut quand même reconnaître que les Nazis étaient très puissants lors de la Seconde Guerre mondiale", ajoute-t-il. Quelques étrangers ont également usé les banquettes du bistrot, dont des Allemands. L'un d'eux a diffusé une photo de lui sur sa page Facebook posant avec des Indonésiens portant comme lui un tee-shirt marqué d'une croix gammée.


"Je n'idolâtre pas Hitler", assure cependant le propriétaire et fondateur, Henry Mulyana, qui dit ne pas avoir peur de passer pour "un méchant". "J'aime tout simplement les souvenirs militaires", explique-t-il parmi sa collection de baïonnettes, lanternes et autres gourdes de l'armée allemande. "Celles qui ont une croix gammée valent plus", précise-t-il fièrement.
Le propriétaire ne nie pas l'existence de l'Holocauste mais le voit plus comme un fait de guerre. "La guerre, ça fait toujours beaucoup de morts", lâche-t-il. Il est arrivé que certains clients se plaignent du thème du café, reconnaît-il, "évoquant généralement l'Holocauste". Mais les autres se montrent intéressés. "On n'entend pas ici beaucoup de critiques contre les nazis ou le fascisme", explique l'historien Asvi Warman Adam, de l'Institut indonésien des sciences.
"Mein Kampf est en vente libre ici. Il est traduit en indonésien et est souvent épuisé". Pour Henry Mulyana, les affaires vont donc bien, à tel point qu'il envisage d'ouvrir un autre "Soldaten Kaffee" sur l'île de Bali, fréquentée chaque année par des millions de touristes. "Je vais exposer des portraits de Hitler, de Winston Churchill et des souvenirs des armées américaine et japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale".



Un certain antisémitisme latent peut être observé dans le pays musulman le plus peuplé de la planète (240 millions d'habitants). Une des pires insultes est d'y être traité de "yahudi" ("juif") et l'opposition à Israël, avec lequel Jakarta n'entretient pas de relations diplomatiques, fait parfois apparaître des croix gammées dans des manifestations de soutien aux Palestiniens.
Le judaïsme n'est pas reconnu parmi les six religions officielles en Indonésie et la communauté juive ne regroupe que quelques dizaines de membres dans tout le pays. Une seule synagogue est en fonction, à Manado aux Célèbes (est), et elle ne compte qu'une dizaine de fidèles. L'autre synagogue que comptait le pays, à Surabaya sur l'île de Java, a été détruite lors d'une manifestation de soutien aux Palestiniens en 2008-09.
La présence du "Soldaten Kaffee" ne devrait donc pas soulever les foules, croit savoir M. Adam. "En revanche, les islamistes ne manqueraient certainement pas de manifester si un café juif s'ouvrait".
 

Source 7sur7.be