jeudi 28 mars 2013

Sauvez le yiddish !




Shmoulik Atzmon se bat depuis toujours pour préserver la langue dans laquelle il a été élevé. Il voudrait que l’Etat fasse davantage pour ce patrimoine culturel. 
Shmoulik Atzmon, préserver le yiddish à tout prix Photo: Gerrard Alon
C’est un fait. Notre bagage culturel et notre milieu social influencent nos comportements et nos choix de vie, bien davantage que nous aimerions l’admettre.

Shmoulik Atzmon l’a bien compris et c’est pourquoi il fait tout pour sauvegarder le yiddish et son folklore, lui qui est né dedans. Pétillant octogénaire, ses efforts ont récemment été relayés par un colloque sur la préservation du yiddish, organisé par le Bnei Brit, qui s’est tenu à Paris, au siège de l’Unesco. Pour Irina Bokova, la directrice générale de l’agence, présente au cours de ces 2 journées : « le yiddish est au coeur de l’unique identité sociale, culturelle et historique du judaïsme en Europe ». Bokova a également rappelé que la survie de cette langue ancestrale « avait été menacée par l’Holocauste ». Aujourd’hui le yiddish se trouve sur la liste des langues en danger de l’Unesco.

Jouer les Sabras

Bokova a enfin ajouté que « la vitalité du yiddish ne peut être remise en cause », ce qu’Atzmon approuve vigoureusement même si, dans sa jeunesse, il a fait tout ce qu’il pouvait pour se détacher de ce dialecte d’un autre âge. « Je ne dirais pas que j’ai entièrement rejeté le yiddish, mais, lorsque j’ai fait mon aliya en 1948, je voulais ne pas sortir du lot, être un Sabra ». Un désir qu’il parvient notamment à réaliser grâce à son éducation. « Nous vivions dans une petite ville polonaise, Biłgoraj, dans laquelle d’ailleurs Isaac Bashevis Singer a vécu dans sa jeunesse. J’ai appris l’hébreu jusqu’à l’âge de 9 ans. Mon père, directeur de banque, présidait la branche locale du mouvement sioniste et avait fait construire l’école Yavne uniquement pour que son fils unique sache parler hébreu. J’étais complètement bilingue même avant d’arriver en Palestine ».
Sa connaissance de l’hébreu et de ses racines était même presque trop bonne. « J’étais au Palyam (la branche marine du Palmah). Un jour, j’entre dans un campement et je salue les autres : « tzafra tova » (« bonjour » en araméen). Ils me dévisagent. « Qu’as-tu dit ? », me demandent-ils. Je réponds : « J’ai dit Shalom ». « Alors, dis Shalom ! », reprennent-ils.
Il y avait toutes sortes d’expressions que j’employais qui leur paraissaient snobs et veillottes. J’ai compris que, pour m’intégrer, il fallait que je rende mon hébreu plus familier ».
Atzmon continue de jouer les Sabras et de remiser le yiddish au boydem (grenier) pendant un an ou deux. « Lorsque mes parents sont enfin arrivés en Israël, je leur parlais bien yiddish, mais seulement à la maison, toutes fenêtres fermées, pour que les voisins n’entendent pas », se rappellet- il. Cependant, en dépit de sa ferveur sioniste, le père d’Atzmon lui a enseigné l’importance de la culture et la langue yiddish dès son âge.
« Nous avons passé une partie de la seconde guerre mondiale en Sibérie. On n’avait pas d’électricité et les bougies étaient une denrée rare », se remémore-t-il. « Lorsque nous n’avions pas de bougie, mon père me racontait des histoires. Et lorsque nous en avions, il m’enseignait l’hébreu et le yiddish.
Un jour, je lui ai dit que je ne voulais plus apprendre l’hébreu et que je voulais savoir parler allemand, car c’était la langue de l’ennemi. Mais il m’a répondu que je devais savoir l’hébreu car nous irions bientôt vivre en Palestine. Je lui ai donc demandé pourquoi j’avais en plus besoin du yiddish et il m’a répondu : “pour ne jamais oublier que tu es juif”. Cela m’est resté ».

Le yiddish, langue réprimée ?

Tandis que ses parents prennent leurs marques dans l’Etat naissant, Atzmon renoue ses liens à la culture et la langue de ses jeunes années. Voilà plus de 60 ans qu’il en est devenu l’un des plus farouches défenseurs. Au cours des 2 dernières décennies, la culture des Israéliens aux racines arabes est revenue sur le devant de la scène. Un revirement que beaucoup considèrent comme une forme de repentir face à la discrimination pratiquée par l’establishment israélien dans les premières années de l’Etat au profit d’une domination culturelle ashkénaze.
Des arguments qui ne convainquent pas l’octogénaire.
« Personne ne me fera dire que la culture sépharade était tenue pour inférieure », s’indigne-t-il. « Le frère de mon père a épousé une juive irakienne il y a 60 ans et mon père en était ravi.
Il disait que c’était la preuve vivante de l’intégration culturelle de Juifs de toutes origines ethniques. Ma fille a épousé un Marocain il y a 18 ans. Bien sûr qu’il y a des différences en termes de culture et de savoirs, mais cela ne veut pas dire que nous, les Ashkénazes, réprimons les Sépharades ».
En réalité, pointe Atzmon, c’est plutôt la culture yiddish qui a été réprimée pendant les premières années de l’Etat. « Ben Gourion était contre le yiddish. Les productions théâtrales étaient interdites dans cette langue. J’ai gardé des copies de contraventions que nous avons reçues de la police pour avoir joué en yiddish. J’ai également la copie d’une lettre du ministère de l’Intérieur en 1951, qui déclare qu’il est interdit de jouer Shnei Kuni Lemel (qui deviendra plus tard un film à grand succès, et le rôle qui a révélé Mike Burstyn) en yiddish. Le gouvernement, qui souhaitait consolider l’hébreu comme langue officielle d’Israël, avait instauré une taxe sur les productions en langues étrangères, au rang desquelles s’inscrivait le yiddish ».

1 million de « yiddishisants »

Mais Atzmon ne se laisse pas décourager. En 1988, il fonde la compagnie de théâtre du Yiddishpiel, qu’il dirige toujours aujourd’hui. Il enseigne également le yiddish à l’université Bar-Ilan.
S’il a finalement reçu de l’aide pour son voyage à Paris, le vieux monsieur trouve que les autorités n’en font pas encore assez pour soutenir ses initiatives. « Personne n’a songé à me prévenir du colloque de l’Unesco. Je l’ai découvert par hasard et j’ai alors immédiatement pris contact avec l’un des organisateurs pour l’informer du Yiddishpiel, qui existe depuis 25 ans. Nous jouons 250 fois par an et vendons plus de 100 000 places par an ».

Mais les organisateurs se font prier, alors Atzmon en est réduit à faire jouer son réseau. Le département des affaires scientifiques et culturelles du ministère des Affaires étrangères finit par lui venir en aide. « Je ne comptais pas parmi les intervenants officiels du colloque mais, vers la fin, il y a eu une espèce de table ronde et j’ai pu prendre la parole. J’ai demandé à l’auditoire, qui comptait des professeurs et des gens de lettres de monde entier, s’ils avaient entendu parler du Yiddishpiel et, sur les quelque 400 personnes présentes, une centaine ont déclaré qu’ils avaient vu nos pièces ».
Aux yeux d’Atzmon, sa compagnie participe largement à la préservation du yiddish dans le paysage israélien.
« Lorsque nous avons commencé, il y avait entre 50 et 60 jeunes qui apprenaient le yiddish dans le pays. Aujourd’hui, il y a environ 6 000 lycéens qui passent une épreuve de yiddish au baccalauréat. Il y a environ 1 million d’Israéliens qui le parlent et quelque 200 000 qui l’emploient au quotidien. Et il ne s’agit pas seulement des religieux ! Les jeunes viennent voir nos pièces et il y a des sous-titres en hébreu pour ceux qui ne comprennent pas la langue. » C’est pourquoi, continue le passionné, l’Etat devrait davantage soutenir le Yiddishpiel. « Aujourd’hui, l’hébreu est assez fort pour permettre au yiddish d’être plus largement promu. L’Etat devrait fournir les fonds nécessaires pour garder le yiddish vivant, tout comme l’on assiste les survivants de l’Holocauste. Je veux que des lois passent pour préserver l’âme du peuple juif : le yiddish ».


Source JerusalemPost