mercredi 13 février 2013

Le "Prisonnier X", l'homme qui en savait trop



La mystérieuse mort du "Prisonnier X" est devenue affaire d'État en Israël. En témoigne la levée de la censure médiatique imposée depuis deux ans par l'État hébreu. En juin 2010, le quotidien populaire Yedioth Aharonoth avait pour la première fois évoqué le sort de "Monsieur X", prisonnier non identifié détenu dans le plus grand secret près de Tel-Aviv pour un crime inconnu, sans que même les geôliers connaissent les charges pesant sur lui. Puis l'information avait rapidement disparu du site internet du quotidien.

Il aura donc fallu une enquête poussée de la chaîne télévision australienne ABC, diffusée lundi, pour que l'affaire ressurgisse. D'après elle, le "Prisonnier X" se nomme Ben Zygier. Citoyen australien de 34 ans, ce père de deux enfants était membre de la communauté juive de Melbourne. Arrivé en Israël il y a dix ans sous le nom de Ben Allen, il est devenu agent du Mossad. Mais son destin bascule au début de l'année 2010. L'homme est emprisonné dans le plus grand secret dans la prison ultra-sécurisée Ayalon, à Ramla, dans l'aile abritant l'un des prisonniers les plus connus d'Israël : Yigal Amir, l'assassin du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin.

Vent de panique à Tel-Aviv

Il sera retrouvé pendu dans sa cellule en décembre de la même année. C'est le récent rapatriement de son corps de Tel-Aviv à Melbourne qui a alerté ABC. Et les révélations de la chaîne australienne ont provoqué un vent de panique à Tel-Aviv. D'après le quotidien israélien Haaretz, le bureau du Premier ministre a immédiatement convoqué une réunion d'urgence du Comité des éditeurs exhortant ses membres à coopérer avec le gouvernement. Le mot d'ordre : "s'abstenir de publier des informations relatives à un incident embarrassant" pour le gouvernement.
Finalement, les médias israéliens ont uniquement été autorisés à reprendre les informations d'ABC, sans apporter le moindre détail supplémentaire. Mais, profitant de leur immunité parlementaire, trois députés d'opposition ont interpellé mardi le ministre israélien de la Justice, Yaakov Neeman. "Est-il normal que le bureau du Premier ministre invite les dirigeants des principaux médias à éviter la publication d'une information susceptible d'embarrasser Israël ?" a par exemple demandé Zehava Galon, dirigeante du parti de gauche Meretz, selon des propos rapportés par l'AFP.

Trahison de l'État

Si le ministre incriminé a botté en touche, rétorquant aux parlements que "les prisons sont sous la juridiction du ministère de la Sécurité intérieure", l'ancien ministre des Affaires étrangères, l'ultranationaliste Avigdor Lieberman, s'est, lui, montré beaucoup plus virulent, accusant les députés de "se solidariser avec l'ennemi", rapporte l'AFP. Mais le plus étonnant reste que le chef de la diplomatie australienne, Bob Carr, n'aurait pas été mis au courant de la détention du citoyen israélien par les autorités israéliennes. C'est en tout cas ce qu'il a indiqué à la chaîne ABC.
"Cela ne m'a jamais été évoqué. Je ne suis pas contre l'idée d'obtenir une explication du gouvernement israélien sur ce qui est arrivé à monsieur Allen et de leur avis sur la question", a notamment déclaré le ministre à la chaîne australienne, tout en ajoutant qu'aucune assistance consulaire n'avait été réclamée par sa famille avant décembre 2010. "Même si le Prisonnier X a été désormais identifié, son crime reste un mystère, même si des mesures aussi extrêmes pourraient indiquer qu'il s'agit d'une affaire de trahison", a précisé Bob Carr.

Recrues du Mosssad

Pourtant, il semble bel et bien que certains responsables du ministère australien des Affaires étrangères étaient au courant qu'un de leurs ressortissants avait été incarcéré en Israël en 2010, affirme le quotidien britannique Guardian. Ces fonctionnaires n'ont pour autant pas jugé utile de transmettre l'information à leur hiérarchie. "Les Australiens sont des recrues idéales pour le Mossad. (...) Les Australiens sont généralement considérés à l'étranger comme innocents", explique à ABC Warren Reed, ancien agent pour l'agence australienne des renseignements extérieurs (ASIS).
D'après l'agence australienne des renseignements intérieurs, le Mossad a pour habitude de recruter des juifs australiens à qui il donne des noms à consonance plus anglaise pour ainsi faciliter leur voyage dans des pays arabes ou en Iran. L'affaire du "Prisonnier X" rappelle étrangement celle de l'emprisonnement secret par Israël pendant plus de dix ans de Marcus Klingberg, un espion du KGB, détenu sous un faux nom jusqu'à sa libération en 2003.

"Atteinte grave à la sécurité de l'État"

Outre l'agitation des médias israéliens, la révélation du sort de Ben Zygier a en tout cas provoqué le courroux d'ONG de défense des droits de l'homme. Interrogé par la chaîne ABC, Bill Van Esveld, chercheur à Human Rights Watch, a indiqué que ce cas soulevait des questions sur les droits fondamentaux des prisonniers détenus en Israël. "La principale préoccupation est qu'une personne ne peut tout simplement disparaître. Ceci est contre les normes du droit international", a-t-il insisté.
Protestant contre le silence médiatique imposé sur l'affaire en juin 2010, après la suppression de l'article sur le site internet du Yedioth Aharonoth, l'Association pour les droits civils en Israël avait reçu du bureau du procureur général d'Israël la réponse suivante : "La mesure actuelle est vitale afin de prévenir à une atteinte grave à la sécurité de l'État."
Source Lepoint.fr