mardi 25 décembre 2012

Das-Ghetto : La bobine qui change tout





Une enquête passionnante sur l’histoire de Das Ghetto, film inachevé de propagande nazie en mettant en scène des juifs dans le ghetto de Varsovie en 1942.


En 1940, les Nazis créent un ghetto à Varsovie. Ils vont l’enserrer par un mur de plus de trois mètres de haut, hérissé de fils de fer barbelés et étroitement surveillé. Environ 500 000 Juifs sont passés par ce ghetto de quatre kilomètres carrés. Des centaines de milliers de juifs de tous âges y survivent entassés, dans la promiscuité, la misère et le manque d’hygiène, victimes de maladies (typhus), affamés. Certains tentent de se procurer des vivres par la contrebande ou le marché noir, avec le risque d’être arrêtés et fusillés. Beaucoup y meurent de faim et d’épidémies.
En mai 1942, pendant trente jours, une équipe de cameramen et de journalistes filme dans ce ghetto des scènes de rues, de marché, dans un restaurant achalandé, au théâtre Nowy Azazel où les comédiens sont obligés de caricaturer leur jeu, dans des appartements cossus. Des scènes aussi de la vie juive : circoncision, prières dans le mikvé, étude en yechiva, un enterrement dans un cimetière.



Les buts ? Contribuer à la propagande nazie montrant les conditions agréables de vie quotidienne des Juifs dans le ghetto de Varsovie, l’écart socio-économique entre Juifs riches, bien alimentés et se divertissant dans des soirées dansantes, et leurs coreligionnaires pauvres, l’indifférence des Juifs aisés à l’égard des mendiants et des cadavres jonchant les rues. Signifier que les Juifs doivent être éliminés. Montrer les preuves de leur destruction : fosses communes de juifs nus, squelettiques…
En 1954, sont découvertes dans un bunker en RDA (République démocratique allemande) plusieurs bobines des images tournées par les Nazis dans le ghetto. Des images annotées « Ghetto », d’une durée de plus de 60 minutes, sans piste son, sans générique. Et qui sont déposées au Mémorial de Yad Vashem à Jérusalem.
Pendant plusieurs décennies, les historiens ont considéré que ces images montraient la vie dans ce ghetto.



Quarante-cinq ans après, à la fin des années 1990, une bobine est retrouvée : elle comprend des rushes supprimés du premier montage. On y voit les efforts des Nazis pour réaliser la prise de vue « la plus efficace ». Un cynique making of où succèdent les prises 1, 2, 3, 4…
En plus, sont révélées les images en couleurs tournées par un cameraman allemand utilisant sa caméra personnelle pour montrer la rue du ghetto transformée en studio de cinéma où les juifs sont contraints d’obéir aux ordres des Nazis.
Un caméraman ayant filmé ces images, Willy Wist, évoque celui qui amenait l’équipe sur le lieu de tournage, donnait les directives de réalisation et de mises en scène : un personnage « portant l’uniforme des SA ou celui brun du parti » et surnommé « le faisan doré ». Willy Wist allègue ignorer la destination des juifs déportés : les camps d’extermination. Mais la Shoah est déjà mise en œuvre dans ce ghetto.




Ce documentaire émouvant est construit à partir des images filmées par les Nazis dans le ghetto, des témoignages de cinq survivants du ghetto, des extraits de journaux, du récit du responsable du Judenrat et la déposition entièrement retranscrite du caméraman Willy Wist lors du procès contre l’ancien commissaire du ghetto et officier SS devenu avocat, Heinz Auerswald. Celui-ci rédigeait des rapports hebdomadaires sur son travail, les rumeurs circulant dans le ghetto, etc.
Ce film A Film Unfinished incite à un examen critique vigilant à l’égard des images visant à former l’opinion publique. Il souligne comment le processus d’extermination des Juifs comprend l’étape de leur vilification par la propagande audiovisuelle haineuse antisémite.

Ce film a été distingué notamment par le Festival du film de Sundance en 2010.
Source judaicine.fr